« J’ai parcouru le monde entier. Néanmoins, tu es demeurée ma seule amie, cette amie que je haïssais…_ Tu me haïssais, dis – tu ? Pourquoi ? » Oui, l’horreur qu’elle éprouvait pour son amie était violente et, pour savoir les raisons de cette ‘’aversion’’, il faudra parcourir Un trop lourd tribut de Sophie Adonon, paru en avril 2015 aux Editions Tamarin à Cotonou. En voici une autopsie…
Fidèle à la convention romanesque du XIXème siècle, Sophie Adonon raconte dans ce livre, de manière linéaire un récit étendu sur 171 pages avec, à bord 16 chapitres. Dans un français facile à comprendre, l’auteure met en jeu l’histoire de deux amies d’enfance, Léontine et Célia, parallèlement opposées par les conditions sociales. La première est née dans une famille où règne en reine la disette ; la deuxième, quant- à elle a un sort plus épanoui. Alors qu’elles étaient toujours en kaki, les deux copines dans un « jeu stupide » (pp.44- 45) permutent leurs vies pendant une journée. La prospère découvre la misérable vie de la pauvre qui, de son côté jouit de l’Eldorado que le destin a donné à son amie. Prise par une crise de haine, à partir de ce jour, elle altère leur amitié.
« Je t’ai parfaitement haïe, jalousée alors que tu n’aspirais qu’à me rendre la vie agréable. Te souviens-tu de ce jeu stupide qui avait consisté à échanger nos deux vies pendant une journée ? Cette malencontreuse expérience a dénaturé à jamais nos relations. Dès ce jour, plus rien n’avait été pareil entre nous. Toute ta bonté, ta sincérité, ta générosité à mon égard ne faisaient qu’accroître ma haine envers toi ? », confesse -t- elle à son amie. Pp. 119- 120.
Et l’après confession ? Que s’est- il passé ?
Une œuvre didactique
Dans ce roman, Sophie Adonon à la manière d’un professeur, tient un discours qui veut instruire ; un discours qui veut apporter aux lecteurs une connaissance de façon méthodique. Se conformant au lexique de la pédagogie, l’auteure a exposé divers jeux traditionnels du Bénin ancien. « ’’Alougbahoué’’ P. 36 ; Ahanlin- Halin P. 37 ; Akotoé p. 37. Au cours de la lecture, on se rend compte du grand écart entre le pauvre et le riche. L’écrivaine, avec soin et attention a décrit via ces personnages principaux [Léontine et Célia] la misère et la béatitude, apprenant ainsi à ses lecteurs les deux classes sociales. Aussi, remarque-t-on dans le roman l’emploi de deux néologismes : Canichiser, un mot signifiant « importuner à la manière d’un caniche pour remplacer l’expression familière ‘’faire chier’’ et la sexocratie, un antonyme de la méritocratie.
Et tragique
La trame de ce roman inspire la pitié. Une sorte de fatalité, la recherche effrénée d’une condition plus aisée [quel que soit le prix à payer] a inévitablement conduit Léontine, entre-temps ‘’rebaptisée’’ Gypsie à l’échec, au malheur où mort s’en est survie. Le champ lexical de la fatalité, de la faute, de l’amour, de la souffrance et de la mort est abondement établi dans l’ouvrage. Mais on y lit également celui de la violence, du viol, de la prostitution, du tabagisme. Plusieurs actions tendues relatives à des événements violents se succèdent sans donner l’opportunité au lecteur de récupérer sa capacité de souffle. Le livre est aussi caractérisé par des coups de théâtre, la multiplication d’actions et le recours au suspense. Il répond ainsi à la tonalité dramatique.
Mais aussi pathétique
Un trop lourd tribut a mis en scène des situations douloureuses, tristes employant les thèmes de l’amitié, de la séparation, de la misère, de la solitude, de la mort. On y découvre l’usage d’images accompagnée d’hyperbole, rendant vivantes les descriptions de l’auteure, lesquelles inspirent parfois la pitié.
Fidèle à son style
Dans ce roman Sophie attribue aux personnages des noms qui véhiculent ou traduisent leur situation morale ou affective dans le livre. C’est le cas du patronyme de chacun des personnages principaux. Ya, ce qui signifie pauvreté en fon, une langue parlée au Sud du Bénin, où se déroule d’ailleurs l’histoire de l’œuvre, pour Léontine et Dokoun (richesse) à Célia. Ce procédé, remarque-t-on, devient une coutume pour l’écrivaine. Véritable pratiquante de l’anthroponymie et de l’éponymie, Sophie Adonon, dans la majorité de ses œuvres, crée des personnages dont les noms sont d’une part indigènes et portent d’autre part leurs rôles dans l’ouvrage. C’est le cas dans Cœur insomniaque, Editions Amalthée en 2011 et Le hiatus (Edilivres, 2014).
L’autre aspect à faire savoir est le thème de l’amitié qui transparaît dans presque tous les livres de l’auteure. Avant Un trop lourd tribut, Sophie a, par exemple, dans Le hiatus, développé l’amitié via trois personnages (une Béninoise, une Ivoirienne et une Burkinabè), toutes victimes de la sorcellerie. La complicité et l’entente entre ses trois amies d’une part et celles entre Léontine et Célia dans le nouveau roman, affichent l’importance que cette auteure a pour ce thème ; la sociologie africaine y attachant du prix.
Esckil AGBO