L’ailleurs. Cet adverbe d’un lieu indéfini désigne, certes, dans l’imaginaire, un lieu physique, terrestre, géolocalisable. Mais pas que…
L’Ailleurs, c’est aussi l’invisible qu’on ne voit, le spirituel qu’on ne touche pas, le son qu’on n’entend et la voix qu’on ne perçoit pas.
L’Ailleurs n’est pas qu’une terre.
C’est aussi ce monde enceint des esprits, de nous à l’état immatériel. C’est aussi ce monde d’avant le monde, ce monde d’après le monde. Ce monde originel, ce monde de l’au-delà.
L’Ailleurs n’est pas qu’une terre.
C’est là qu’habite le fœtus avant de prendre possession du ventre, d’un ventre féminin. C’est là qu’habite Fa, là où habite le Message avant de parvenir aux hommes.
L’Ailleurs n’est pas qu’une terre.
C’est le ventre de la femme utilisé comme viatique pour livrer le Message-Jésus, le Message-Fa, le Message-Abiku, le Message-Jumeau, le Message-enfant.
L’Ailleurs n’est pas qu’une terre.
L’Ailleurs, c’est le ventre sacré de la femme. L’espace mystique d’où des fœtus indésirés de plusieurs ventres différents communiquent pour se gausser de leurs parents perdus ou défroqués.
L’Ailleurs ne sera jamais que terre.
Il ne le sera jamais tant que l’enfant parlera dans le ventre de sa mère et que des foetus communiqueront. Tant que le ventre sacré de la femme messagère portera des Messages à livrer aux hommes.
L’Ailleurs ne sera jamais que terre.
Tant que le ventre signifiera aussi secret dans notre culture. Tant que l’être non-être sera ce néant, cet esprit, ce personnage-parole qui n’a pas encore pris corps mais qui agit, parle et a de pouvoir, de l’ascendance sur d’autres personnages réels.
L’Ailleurs n’est pas qu’une terre.
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Voilà la quintessence du thème développé le samedi 10 juin 2023, au siège des éditions Beninlivres dans une communication donnée par la Conseillère Pédagogique, Dr. Judith Nounangnon Bidouzo. Ceci pour le compte du 15ème numéro des Cafés Beninlivres.
L’étude a porté sur trois œuvres : La naissance d’Abiku (Nouvelles) de Olympe Bhêly-Quenum, La naissance de Fa, l’enfant qui parle dans le ventre de sa mère (Récits) de Mahougnon Kakpo et Je suis le fils de quiconque m’aime (Roman) de Koutchoukalo Tchassim. Ailleurs et le ventre chez Kakpo Mahougnon, Olympe Bhely-Quenum et Koutchoukalo Tchassim.
Si les deux Béninois parlent du ventre de la femme comme un monde originel, un espace cosmique, mythique, avec un enfant qui, depuis le sein maternel, sur un ton autoritaire et sans affectivité aucune, donne des ordres à sa mère et parle de son père comme s’il n’en était pas le sien, la Togolaise Tchassim Koutchoukalo, par contre, dans son roman, postule le ventre comme un espace, un endroit de souillure parce que portant des enfants non désirés.
On assiste, défend l’Invitée des éditions Beninlivres, donc à une déconstruction littéraire du réel où les personnages-foetus considèrent leurs mères comme des prostituées et commencent à se moquer d’elles dans des communications “inter-ventrales” qui dépassent, naturellement, tout l’entendement humain, même si on sait que scientifiquement une connexion plus qu’ombilicale lie la mère à son enfant déjà dès la conception.
Par Chrys AMEGAN