Olympe Bhêly Quenum : Dans une fresque de Giotto ou la psychanalyse de l’antéchrist

Olympe Bhêly Quenum : Dans une fresque de Giotto ou la psychanalyse de l’antéchrist

Dans une fresque de Giotto est une nouvelle qui exige pour sa compréhension toute l’attention du lecteur. Elle n’est pas de ces récits qui se lisent un œil entre les lignes et l’autre en travers du livre dont pourtant le sens est vite saisi par le lecteur.

Pour tirer sa part de plaisir dans le voyage de Addi Guidiglo le personnage, le lecteur doit être au top de son attention. Une seconde d’inattention et voilà le lecteur distrait revenir en arrière du récit pour construire à nouveau le sens de l’histoire.

La nouvelle s’ouvre sur le voyage du personnage principal qui fait un crochet dans une famille amie dont le père « l’accueillit avec le naturel de sa spontanéité qui l’avait rendu familier à sa famille six ans plutôt ».

La première partie prit fin sur le départ du personnage « …pour Tremezzo…[qui ] y séjourna trois jours avant de mettre le cap sur Padoue… ». A cette étape, rien de sensationnelle comme on s’attend sans la nouvelle. Aussi le lecteur s’attend-il de la nouvelle, conformément à sa définition, que le personnage se retrouve au cœur d’un drame qui l’astreint à une quête en vue d’une équilibre ou à une dégringolade fatale à son bien-être. La suite du récit loin de cette attente fausse plutôt la logique des possibles narratifs.

Selon Claude Bremond, « tout récit consiste en une succession d’évènements d’intérêt humain dans l’unité d’une même action. Où il n’y a pas succession, il n’y a pas récit, mais par exemple description […,] déduction […,], effusion lyrique ».

Olympe Bhêly Quenum, l’auteur de Dans la fresque de Giotto dans la suite de l’histoire en effet fait l’option de la description des imaginations du personnage Addi. Le lecteur se retrouve vite dans un dialogue au cœur d’un monologue idéologiquement métatextuel où tout se joue dans la tête seule du personnage.

Le monologue commence sur l’observation d’une fresque « représentant la Flagellation de Jésus »où « l’Africain du détachement de soldats romains commis à la flagellation du Nazaréen […,] se sépara des autres personnages de la fresque et, marchant comme s’il descendait d’un escalier, le rejoignit dans la nef ». Le terrain pour la psychanalyse de l’antéchrist vient ainsi d’être balisé par le narrateur.

Initialement simple figurant d’une fresque, le soldat sans doute absent est pourtant présenté comme un vrai personnage de sorte qu’ « il fût en chair et en os tel qu’il […]avait semblé dans la fresque ». L’illusion de sa présence dans le récit pour le lecteur lambda est entretenue dans le récit descriptif de sa personne :

« Il eut dans sa voix des inflexions qui couvrirent Addi comme de plumes d’oiseau ; ses yeux s’écarquillèrent de stupeur quand en le regardant, il vit l’hôte d’une transparence de cristal ; d’innombrable vaisseaux sans une goute de sang frémissants de rapides petits spasmes s’enchevêtraient dans son corps de la tête aux pieds. Ses yeux qu’Addi avait vus d’un marron clair ressemblait à deux boules de cristal au travers desquels, à la place du cerveau, se contractait comme s’il respirait, un inextricable peloton de fibres de verre sillonné d’éclairs, donnant l’impression qu’un orage se préparait à éclater dans la tête du personnage ».

Mais de toute évidence, le champ lexical absurde de ce portrait, détrompe vite le lecteur averti. Ce soldat n’est qu’une voix intérieure à la conscience de Addi rendu audible au lecteur par le jeu du dialogue : « est-ce que j’étais seul à battre le condamné quand il traînait les pieds ? » demande la voix du soldat mais intérieure à la conscience de Addi qui lui répond paradoxalement tout comme à un interlocuteur sérieux : « mon frère, vous voulez vous disculper… ».

Ce dialogue au cœur de l’introspection du personnage dévoile le fond de ses pensées. Le narrateur met à profit cette voix pour psychanalyser la pensée du personnage dans une idéologie antéchrist.

Le discours métatextuel se veut biblique. Addi dans ce dialogue introspectif n’a adopté aucune stratégie argumentative pour s’opposer à son interlocuteur fictif. Face aux discours fleuves du soldat, il y répond sans conviction « c’est compliqué… » , ou à des interrogations incitatives de son allocateur à davantage de discours : « Quoi ? », « Qu’avez-vous ? Qu’est-ce qui se passe en vous ?… ».

On en déduit qu’à travers ce jeu de faux dialogues, seul le discours du soldat sur la vie du Christ (et en marge sur l’internet) prime, et nous met en présence de la fonction généralisante ou idéologique dans l’analyse du récit. A chaque prise de parole, le soldat a fustigé la mission et la personne du Christ. En effet, il n’est croyant d’aucune idéologie et ne le cache pas : « je ne suis pas croyant ; ni leur Dieu, ni aucune divinité d’Afrique ou de Rome, n’avait sa place dans mon cœur ». Il voit dans le Christ « l’homme d’un réseau », presque un imposteur qui se disait être le Messie : « ils le croyaient vraiment le Messie qu’il se disait ». Dans sa condamnation en tant que Messie, le Soldat y voit plutôt une volonté de suicide car il comprend mal que « ce Jésus, qui guérissait çà et là, […, n’] avait opéré un seul [miracle] devant Hérode aussi […,] pour se déjuger..». Il critique l’attitude de ses disciplines qui n’ont pas bougé le petit doigt pour le soustraire à la mort :
« l’un d’eux en arrivait à renier son Maître… Les foules qui avaient admiré, adoré même leur Maître, l’acclamaient en le proclamant le Messie […,] seraient peut-être venues protester, le soutenir, exiger qu’on le libère plutôt un innocent pathétique que ce briguant de Barabbas ; au lieu d’une telle action, les disciples ont été impuissants ?

Tacitement complice de la condamnation et de la mise à mort de leur Maître ? ».
Même le père adoptif du Christ Joseph est critiqué dans la mort de son fils :
« il avait un père absent quand lui, son fils chargé de la croix sur laquelle il serait sacrifié, montait le Calvaire. Etrange ; on disait que son père était charpentier. Tiens! Tiens! C’était peut-être lui-même qui avait fabriqué et vendu cette croix… »

Au demeurant, c’est avec un plaisir décuplé au fil des pages que j’ai achevé la lecture de Dans une fresque de Giotto. Le récit dans la deuxième partie a pris une allure d’une histoire ambigüe pour davantage le devenir abstrait dans la troisième et la suite de la nouvelle. La transition entre la diégèse pour la psychologie du personnage crée un blocage de compréhension pour le lecteur superficiel. J’avoue que ce n’est qu’à la troisième tentative que j’ai pu poursuivre la lecture en franchissant la troisième partie devenue récit de pensée, d’une analyse antéchriste.

C’est tout un plaisir pour moi de découvrir une nouvelle forme d’écriture de la nouvelle qui traduit tout le savoir faire de l’auteur. Avec Dans une fresque de Giotto, je pus dire que la traversé du désert des pages subtiles d’une œuvre littéraire réserve nécessairement un plaisir surprenant pour le lecteur persévérant. A travers les lignes de cette nouvelle dédicacée à ma modeste personne, en partie pour ma petite contribution aux noces de diamant de Un piège sans fin, Olympe Bhély-Quenum une fois encore, mérite toute mon admiration. Merci à lui pour l’honneur de la dédicace.

GOUNDA Adélé Rodrigue, © BENINLIVRES, juin 2022