Vendredi 25 août 2017. Ouidah. Esplanade du fort français. Trois hommes assis dans un bar- restaurant, adjacent à la place publique. Ils ont pris le soin de s’installer à l’écart des autres clients de la buvette, loin du grand bruit. Peut- être, s’agit- il d’une mesure de sécurité, vu leur rang dans la société, dans la république. Leur positionnement porte à croire qu’ils sont arrivés à un rendez- vous d’affaire. Mais loin de là. Ils boivent et ils parlent de tout et de rien. Les éclats de rire sur leur visage expriment bien l’amitié et la fraternité qui les lient.
De l’autre côté, les autres clients sont aussi affairés que les trois amis. Ils le sont autant que le gérant et les servantes. Tel dans un marché, chacun s’occupe de son job.
Sagbohan Danialou, physiquement n’était pas sur les lieux mais présent, il était tout de même. C’est un chanteur- percussionniste célèbre du Bénin. En effet, un client épuisé des agressions que lui inflige un chanteur dont tous ignorent l’origine et le type de musique intima l’ordre au gérant de la buvette de jouer un autre artiste. De préférence, un Béninois, connu de tous.
Les instants d’après, c’est la voix de l’homme orchestre qui retentit en ces termes :
« Les enfants les plus valides ont été arrachés au continent noir pour alimenter le commerce triangulaire…c’est un péché commun entre acheteurs et vendeurs… C’est un péché commun entre Noirs et Blancs ».
La quintessence du rythme souleva une dizaine de clients de leur siège. De petits pas de danse au début, ils finissent par se rouler dans la musique. L’assistance les accompagne par des ovations….
Sagbohan Danialou ne laissa personne indifférent. Les trois amis de l’autre bout observaient la scène des danseurs. Ils applaudissaient, eux aussi à l’instar des autres spectateurs. A leur manière.
-Puisque Sagbohan en parle, je voudrais qu’on en parle, nous aussi, M. le président, lança Foo Chrys Chodaton avec un brusque changement de mine.
-Parler de quoi ?, lui demanda, spontanément Joo Pliya…
-Tu n’entends pas le message du chanteur ? Aujourd’hui, nous sommes le 25 août. Mercredi dernier, c’était le 23 août, Journée Internationale du Souvenir de la Traite Négrière et de son Abolition.
-Et alors ?
-Et à fort !
A cet instant, M. Talon qui jusque- là, était muet, intervint.
-Chrys, je comprends le sujet que tu évoques. L’Etat n’a pas organisé une célébration officielle. C’est là, ta colère.
-Exact, M. le Président. Mais mon indignation va au – delà.
-Ah bon ! je t’écoute donc.
-Avant votre régime, celui du changement refondu a eu le même mépris par rapport à cette journée. On n’organise rien de façon officielle pour honorer la bravoure des Noirs qui ont enclenché la révolution contre l’esclavage. Votre prédécesseur a fait cette monumentale erreur. Et vous, malgré le nom rupture que vous collez à votre régime, vous semblez la perpétuer.
A ces mots, un silence surgit. Les trois amis se fixèrent et se lancèrent de légers sourires.
– Chrys, j’ai appris dans les média que l’Union que tu diriges a tenu cette célébration. Il s’agit d’une organisation réussie, selon les commentaires des journalistes. L’un d’eux, intervenant sur un site web a affirmé que tu as pris la résolution avec ton association de tenir annuellement cette journée, avec ou sans l’Etat …..
Bien sûr ! c’est un devoir de mémoire. Et, vous, M. le Président, vous le savez bien.
– Cette année par exemple, la célébration s’est étendue sur deux jours. Au menu, plusieurs activités dont les plus importantes sont les conférences- débats, les visites sur les sites touristiques d’Ouidah et la cérémonie officielle qui s’est déroulée à la Porte du Non Retour. Nos frères afro- descendants sont venus nombreux. L’un d’eux a fait un témoignage qui a donné la chair de poule à tous.Hounnnn, disent en chœur Patou et Joo.
Raconte donc !, poursuit M. Talon
-Ce frère afro- descendant s’appelle Manou Gordien. Il est Guadeloupéen. Mais il est attaché à son histoire, à ses origines. Alors il se lança dans la recherche de ses sources. Il parcourut plusieurs pays : Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire et même le Tchad. Dans ses investigations, il sut que ses aïeux sont partis du Dahomey. Il foula alors le sol de notre Bénin. Après avoir été vainement à Allada, Zogbodomey, Ouinhi, c’est à Ifangni qu’il porta les yeux sur ses vraies origines. Ce Manou Gordien est du village Zian et son vrai nom de famille est GBOHIKI.
-Aaah ! c’est touchant, son histoire. Mais, concrètement qu’est- ce que cette célébration apporterait à l’Etat et puis aux Béninois? Pourquoi l’Etat décaisserait de sous pour, juste, une formalité de fête, vocifère Joo.
-Mais l’Etat sort de l’argent pour la fête de la musique ! Connaissez- vous comment cette fête a été instituée ?, répliqua Foo Chrys. L’Etat décaisse de l’argent pour ci. Il décaisse de l’argent pour ça. L’Etat décaisse…
Foo Chrys ne termina pas ses propos. M. Talon le coupa son discours plein de verve :
-Le peuple béninois a besoin de tout sauf d’une fête ou d’une occasion qui lui rappellera un passé pas trop glorieux, cher Chrys.
– Vraiment ? Le 23 août est une journée pour commémorer le courage des peuples noirs ; c’est une occasion pour chanter la liberté conquise au prix du sang. C’est un passé d’honneur et de gloire. M. le Président, vous voulez faire la promotion du tourisme. Le 23 août est une période d’affaire, de bonnes affaires pour le tourisme, ne serait- ce pour nos afro-descendants. J’espère que vous n’avez pas oublié Ouidah 92. Il faut créer, démultiplier Ouidah 92. Et cela, Joo devrait le savoir et vous le notifier.
A cet instant, Joo qui venait de sa deuxième calebasse de tchakpalo lança à Foo Chrys
– Pourquoi, moi ?
-Parce que tu es le directeur général de l’agence des patrimoines et du tourisme. Dans ton planning annuel, tu dois inscrire le 23 août. Si nous voulons faire du tourisme, c’est par là, il faut commencer. Du tourisme local pour les élèves, étudiants, enseignants, la jeunesse à la faveur de cette journée. Ton agence doit prendre des initiatives pour imprimer dans le quotidien des Béninois l’histoire vraie de leur pays. Le 23 août est une belle occasion, outre le 10 janvier. J’en ai fini. Je ne veux plus parler. Je n’ai même pas eu la présence d’un représentant du ministère du tourisme à Ouidah le mercredi passé. J’en suis vraiment déçu.
Esckil AGBO, Porto – Novo, 25 août 2017