Film / La femme du Fossoyeur : Portrait d’un époux né pour mourir pauvre

Film / La femme du Fossoyeur : Portrait d’un époux né pour mourir pauvre


CINEMA – La Femme du fossoyeur est un long métrage du Somalien Khadar Ayderus Ahmed, sorti en 2021 et sacré Etalon d’or la même année au Festival panafricain de cinéma et de télévision de Ouagadougou (Fespaco).


Qu’est – ce qu’une vie absurde ? Qu’est ce qu’une vie pauvre? Pour saisir ces mots ou groupe de mots, je vous conseille de regarder le film somalien La femme du fossoyeur. Il décrit, en effet, le misérable séjour terrestre d’un homme (Guelu), d’un père démuni, d’un époux incapable de réunir d’argent pour assurer l’intervention chirurgicale de son épouse, souffrant d’une grave maladie rénale.
Regarder ce long métrage, c’est comprendre que « la vie est un drôle de sens », c’est comprendre que le souffle d’un humain peut se retrouver moins important que le prix d’achat d’une chèvre ; c’est découvrir que par une erreur insignifiante, un homme peut à vie être dans la pauvreté.


Pour la petite histoire – Guelu et ses amis passent la journée à attendre devant l’hôpital de leur quartier, la mort d’un patient pour se mettre au travail. Fossoyeurs, ils courent ainsi après les cadavres pour satisfaire leurs besoins quotidiens. Seulement que les morts n’arrivent pas comme eux ils les espéraient. La rareté de cadavres à enterrer imprime alors à Guelu une pauvreté sans limite. Pas d’argent pour nourrir son foyer conjugal, pas de moyens pour couvrir les soins de sa femme agonisante, alitée par une infection de reins. Dévasté, l’homme prit la décision de retourner au village pour récupérer son troupeau et le liquider en ville afin de sauver la femme.
Après plusieurs jours de marche, il finit par rejoindre le bourg mais découvre sur place qu’il avait été déjà dépossédé, par sa famille dudit troupeau. Entre colère et supplications, Guelu doit du coup trouver les voies et moyens pour rassembler les 5000 dollars nécessaires au traitement de l’épouse Nuitamment, il s’empare du troupeau et tente de regagner Djibouti où l’attendent l’agent de santé, son garçon et son épouse grabataire. Mais il n’a pas atteint ce but. Les jeunes du village ayant remarqué la disparition des animaux l’ont rattrapé et l’ont copieusement roué de coups de bâton, de poings et de machette. Entre la vie et la mort, il poursuit sa route.


Guelu a choisi d’être pauvre


Etre pauvre peut être de la faute du pauvre – lui-même. Et c’est ce que l’écrivain William Vollmann a essayé de montrer dans son livre intitulé Pourquoi êtes – vous pauvres ?, paru en 2008 chez Acte Sud. Les pauvres sont responsables de leur situation. Dans le film La femme du fossoyeur, c’est ce qu’on découvre quand on analyse le parcours de Guelu. Pour aider Nasra à échapper à un mariage forcé, il s’enfuit en ville avec elle et les deux ne sont plus jamais retournés au village. ils s’installèrent dans un quartier pauvres de Djibouti et formèrent un couple qui eut un garçon.
Toute analyse faite, il se dégage deux phénomènes de l’attitude du Guelu. D’abord, l’exode rural. Ce phénomène n’a presque jamais profité aux jeunes qui désertent les villages à la recherche du gain facile. D’éleveur au village, il se transforma en fossoyeur en ville où chaque jour, rappelle – t- on, il devra courir après les cadavres pour trouver la pitance. Sans boussole et sans un revenu fixe, il devint un pauvre à vie. Ensuite, nous relevons qu’il a bafoué les règles instituées par sa communauté. Il s’unit à Nasra sans la bénédiction des deux familles. Il faut dire tout simplement que son comportement ressemble à un enlèvement. Et cet acte n’est pas sans conséquence. En clair, pour répéter Bourdieu dans La noblesse, (Edition Minuit, 1989), il faut dire que Guelu est complice de son destin, le destin de vivre pauvre. Faudrait – il s’apitoyer sur son sort ?


Pauvre matériellement et riche moralement


De la pauvreté naissent plusieurs maux ou phénomènes de la société : le divorce, la colère, l’alcoolisme, la délinquance, la violence, et autres pratiques malsaines dont la cybercriminalité qui prend de l’ampleur en Afrique. Mais rien de tout cela n’a rendu visite au couple Guelu – Nasra. Au contraire les deux se sont montrés unis pour toujours. Unis pour aller au bout des sacrifices, ils se sont promis engagement, fidélité et solidarité. L’époux sur qui pèse le déséquilibre familial n’a rien perdu de son état d’homme doux, calme et aimable. A aucun moment dans le film, il s’est révélé violent, coléreux même quand son fils affiche ses caprices d’enfant. Nasra, quant à elle, malgré sa situation de malade grabataire, elle a toujours le sourire aux lèvres, elle a toujours affiché une bonne humeur. Sur aucune séquence du film, on l’a vue se lamenter.
Ce rôle des deux personnages principaux traduit le désir du réalisateur de montrer le contraste entre la pauvreté matérielle et celle morale. C’est un message qu’il lance au public :

La pauvreté matérielle ne devrait pas enlever la richesse morale.


Touchant et émotionnel long – métrage


Deux adjectifs qualifient à notre avis ce long – métrage. Touchant et émotionnel. Touchant par la puissance du récit, le pouvoir sensible de l’intrigue. Le scénario est incontestablement un succès. Il allie actions et suspense de façon à maintenir le ‘’spectateur’’ jusqu’au bout et ce sans l’ennuyer.
Emotionnel parce que tout paraît naturel dans ce film. Le jeu des acteurs, la musique et le décor. Le tout réuni forme une poésie qui sublime le cinéphile.


Par Esckil AGBO, © BENINLIVRES, Tunis, novembre 2021