[Hommage à OBQ] / Eusèbe Guidjimey : « Pourquoi Un piège sans fin a-t-il été enlevé du programme au Bénin ? »

[Hommage à OBQ] / Eusèbe Guidjimey : « Pourquoi Un piège sans fin a-t-il été enlevé du programme au Bénin ? »
Eusèbe GUIDJIMEY

Lui, il se demande, depuis 2014 pourquoi Un piège sans fin a-t-il été enlevé du programme de l’enseignement du français au Bénin.   Passionné de littérature et Titulaire d’un Master Recherches en Lettres modernes option Grammaire et stylistique françaises, Eusèbe Guidjimey n’a toujours pas de réponse à sa question.  Ce samedi 25 avril 2020, sur radio Beninlivres, et ce dans le cadre de la célébration des noces de diamant du roman,  il rend un vibrant à Olympe Bhêly Quenum (OBQ)  qui, pour lui est un Grand Fils d’Afrique.

Hommage

Paru pour la première fois en 1960, Un piège sans fin est un roman écrit par un grand Africain, un digne fils du Bénin, Olympe Bhêly-Quenum. Qu’y a-t-il dans cette œuvre pour qu’elle suscite autant d’hommages, autant de débats, autant de réflexions, soixante ans après sa publication ?

Des études consacrées à l’histoire présentée dans ce roman, il se dégage plusieurs tendances parmi lesquelles on peut noter : la philosophie de l’absurde et le procès de la colonisation. Pour certains critiques, l’intérêt d’Un piège sans fin repose sur l’entreprise absurde portée par les épisodes malheureux fricassés dans l’œuvre. François-Bernard Mve écrit, par exemple, que, dans ce roman :

« la vie apparaît comme une entreprise tragique, où le destin joue un rôle fondamental, une entreprise absurde qui se solde toujours par l’écoulement du sang des personnages, la flagellation, les sévices corporels, le suicide, le meurtre, la vengeance, l’évasion de l’univers carcéral, … ».

 Pour d’autres, hormis ces brins assimilés à l’absurde dans le roman, un vaste procès a sanctionné le système colonial français. Ainsi, dans un discours, à la fois coupant et virulent, Olympe Bhêly-Quenum a exposé la décrépitude d’un peuple croupissant sous le joug de la colonisation. Dans ce sens, Adrien Huannou précise qu’Un piège sans fin est « un réquisitoire sévère contre le colonisateur français ».

Et d’autres niveaux de lecture encore condamnent l’héroïsme attribué à Ahouna par des critiques, traitant ce personnage de poltron, une espèce d’incapable aux antipodes de l’homme africain, qui a manqué de courage à plusieurs occasions dans l’œuvre. On en retient donc qu’Un piège sans fin est un roman polyphonique, servant de carrefour à plusieurs débats, aussi bien divergents dans leur forme que pertinents dans leur contenu.

Pour ma part, l’un des éléments marquants de ce chef-d’œuvre est bien évidemment le sempiternel ping-pong qui tient la curiosité du lecteur jusqu’à la fin du récit.

L’auteur a su superposer les moments heureux et les épisodes malheureux, les uns après les autres, dans un rythme d’aller-retour permanent.

Ainsi, la lecture d’Un piège sans un fin fait penser à Sisyphe, un personnage de la mythologie grecque, condamné à pousser un rocher au sommet de la montagne, qui retombe chaque fois, soumettant celui-ci à un éternel recommencement.

Par ailleurs, l’histoire, bien qu’elle soit dominée par le tragique, est  marquée des chants d’amour et de plusieurs passages descriptifs qui ravivent la sensibilité du lecteur ; une manière de rendre le tragique par le poétique. Comme pour servir l’entrée avant le résistant, le roman s’ouvre sur un régal qui se saisit de notre gustation : le portrait physique et moral d’Ahouna piquant l’esprit traîné méticuleusement dans l’univers du récit. « Taille moyenne, peau ternie et desséchée par la misère, corps squelettique et tête osseuse, il avait un visage d’enfant rachitique qu’allongeait une barbiche sale, poussiéreuse, humide de bave et de sueur. Je le rencontrai un jour au cours de mes voyages à travers le Dahomey ; … »

D’une manière analogue, plus loin à la page 89, Olympe Bhêly-Quenum offre une ode à l’amour, un merveilleux récit descriptif présentant la beauté d’Anatou, le premier jour de sa rencontre avec Ahouna. Un piège sans fin est simplement un grand roman produit par un grand Ecrivain. D’ailleurs, des extraits de ce roman se trouvent dans les manuels de lecture pour la formation de base (voir Je lis tout seul CM2). Je me rappelle encore le plaisir que j’avais éprouvé en lisant cette œuvre pour la première fois, alors que j’étais en seconde. C’était comme ma Bible !

Aujourd’hui enseignant de français, je recommande la lecture de ce roman à tous mes élèves puisque ce n’est pas bienséant, à mon sens, de franchir les portes du secondaire sans avoir lu Un piège sans fin. Cette œuvre nous propulse non seulement vers d’autres œuvres littéraires et renforce nos capacités grammaticales et expressives, mais aussi nous instruit que la vie est un éternel combat. Et l’auteur même l’a martelé : « Sachez et croyez fermement que votre vie doit être une mort continuelle ».

Et je finis par cette question qui ne cesse de me hanter depuis 2014 : Pourquoi Un piège sans fin a-t-il été enlevé du programme de l’enseignement du français au Bénin ?

Eusèbe GUIDJIMEY, ©BENINLIVRES, avril 2020