Interview / Apollinaire AGBAZAHOU : “Je ne me réclame pas écrivain”

Interview / Apollinaire AGBAZAHOU : “Je ne me réclame pas écrivain”

Apollinaire Agbazahou est enseignant et inspecteur de l’enseignement secondaire à la retraite. Connu dans le paysage culturel et littéraire comme dramaturge-nouvelliste, ce vétéran de la plume béninoise a  inscrit son imaginaire sur un autre cadran de la littérature : la poésie. Son tout nouveau recueil de poèmes s’intitule ‘’Cartulaire buissonnier’’. Il s’est exercé à dévoiler un peu de ce qu’il y a mis puis a abordé d’autres angles sensibles de la littérature et de sa vie. Lisez l’entretien qu’il nous a accordé.


Beninlivres : Est-ce qu’il vous a été facile de passer à la poésie ?

Apollinaire Agbazahou : La dramaturgie et la poésie, c’est la même chose. C’est une question de création partout. Et il faut avouer que beaucoup ne m’attendaient pas au niveau d’un recueil de poèmes.

Mais, il faut dire que le beau  et les images font aussi partie de la vie du dramaturge que je suis. J’avais des textes que j’ai voulu mettre au goût du jour et à la disposition de tout le monde. C’est tout.

Puis  cela a donné ‘’Cartulaire buissonnier’’. Et ce recueil de poèmes a été préfacé par le jeune Daté Atavito Barnabé-Akayi. Jeune, parce que dans l’arène, il n’est pas trop vieux mais très prolifique, et postfacé par Fernando d’Almeida. Pourquoi le choix de ces  personnes pour les paratextes?

J’ai fait le choix de ces deux personnes parce que vous avez vu que c’est deux générations différentes. J’ai jeté mon dévolu sur le jeune Daté tout juste parce que c’est un jeune dynamique et très respectueux, très bon en matière de littérature. J’ai donc voulu lui offrir cet honneur parce qu’il fait partie de ceux qui me suivent le plus et qui m’oblige à écrire. Et ce n’est que justice rendue que de lui confier la préface.

D’abord, parce qu’il s’y connait en poésie et il fait partie des poètes les plus en vue actuellement. Ensuite parce qu’il fait partie de tous ceux qui m’encouragent à écrire.

Et Fernando d’Almeida, lui on ne le présente plus. C’est un respectable monsieur. C’est vrai, c’est un  Bénino-Camerounais mais à dimension mondiale rien que par la poésie parce qu’il ne fait pas autre chose. Alors, j’ai passé mon recueil au tamis de ces deux-là, jeunes poètes, jeunes tendances, nouvelles formes d’écritures et d’un vieux briscard de la poésie, d’abord pour avoir leur quitus. C’était d’abord cela. Tout est parti de là. Et c’est quand ils ont parcouru mon texte qu’ils ont dit ‘’bon, écoute, monsieur Agbazahou, moi j’ai envie de prendre ci dedans, moi j’ai envie de prendre ça. Et j’étais content que Daté accepte de préfacer et c’était sans complexe que je lui ai confié ça parce qu’il le mérite. Et puis l’autre, Fernando qui est un ami de classe, qui est un grand monsieur, et comme il n’a pas boudé le texte et qu’il m’a demandé, Apollinaire qu’est-ce que je peux pour toi, je lui ai demandé de postfacer. J’en étais content. J’ai constaté alors que ma tendance politique, certainement est au milieu des anciennes générations et des générations montantes. C’est un peu comme ça que je me situe.

Et quant à la forme de ces textes, il faut remarquer qu’il y en a qui ne commencent pas par une lettre majuscule pour se terminer par un point. Pour dire que cela ne respecte pas les règles classiques de la grammaire française, un peu comme l’a fait Barnabé-Akayi  Daté Atavito. Pourquoi ce choix ?

Non, c’est l’inspiration qui vient, et tout texte qui commence par une minuscule veut dire qu’il y a beaucoup de non-dits qui ont précédé. Et tout texte qui s’achève aussi sans un point final traduit ‘’je m’arrête-là, il y a bien d’autres choses à dire’’. Et tout ça fait partie de la poésie parce que la poésie est essentiellement suggestion, la poésie n’est pas affirmation.

Et on a constaté également que vous avez titré les textes par brique, Petsios, Proia. Pourquoi avoir fait cette option ?

Sous  Petsios qui est un descendant de Zeus et qui est un dieu baptiseur, il y a eu des figures qui m’ont marqué et la première partie est essentiellement dédicace.

 J’ai envoyé cela à des gens que j’ai admiré sur un plan ou sur un autre. Vous verrez des gens comme Kakpo Mahougnon que j’admire beaucoup. Vous verrez également un poème que j’ai dédié à Guy Ossito Midiohouan que j’admire aussi beaucoup pour ce qu’il fait. Vous verrez également un projet que j’ai dédicacé à Daté Barnabé-Akayi. Il y a aussi des non littéraires et des amis que j’ai côtoyés qui m’ont marqué positivement, qui ont de la vertu et qui ont tranché d’après moi dans un domaine donné, à qui j’ai voulu donner ces lauriers-là. Donc, la première partie est essentiellement consacrée aux dédicaces.

La seconde partie, c’est un poème ruban, comme on le dit. Un très long poème où j’ai l’habitude de surfer sur trois pôles : la jeunesse, la vertu et la pédagogie. Donc, dans la seconde partie, j’ai essayé de mettre à nu les faiblesses actuelles de la jeunesse.  Puis, j’ai fini cette partie-là sur la méchanceté humaine en général et surtout la manière d’abandonner les vulnérables dans la société.

Et puis la troisième partie ‘’Venus en proie’’ est essentiellement parce qu’en poésie, il est très rare d’échapper à ce piège de l’amour que j’aurais pu éviter. Mais, comme tout homme, j’ai un cœur qui bat dans ma poitrine et j’ai connu des hauts et des bas en matière de problème de cœur. Bon, j’ai dédié aussi douze (12) poèmes à des dames, à des gens…

Ces problèmes de cœur sont-ils récents ou ils  datent de longtemps ?

Ce n’est pas un vieux gaga comme moi qui serait encore atteint par la flèche de cupidon. Moi, j’ai dépassé cet âge-là. Je vous ai dit que ce sont des poèmes que j’ai ressuscités. Ils étaient dans les tiroirs depuis que j’étais jeune étudiant. J’étais encore dans la fleur de l’âge quand j’ai eu ces problèmes-là et je les avais écrits.

L’opportunité s’est présentée maintenant pour que je les mette à la disposition du public. Voyez-vous, donc j’étais un taquin de la muse depuis que j’étais étudiant, c’est tout.

Et s’il vous était donné de jeter un regard sur l’univers littéraire béninois. Qu’est-ce que vous pourriez en dire ?

La littérature béninoise se porte très bien. Mais, elle n’est pas encouragée parce qu’il y a des plumes montantes comme les Daté par exemple. Il y a des plumes constantes comme les Couao Zotti. Et il y a des plumes matures comme Kakpo Mahougnon, Guy Ossito Midiohouan et autres. C’est tout cela qui alimente la littérature béninoise.

Pourquoi pas Agbazahou aussi ?

Non, moi, je ne me réclame pas écrivain. Je n’en suis pas un. Je ne suis pas un professionnel de la plume. Je vis d’autres choses. C’est à temps perdus que je m’amuse. J’ai une plume d’amateur. J’attends que les gens me consacrent. Je ne sais pas si je peux dire que je suis écrivain. Je m’exerce à la chose.

Donc, quand on voit cela et on voit que les figures de proue de l’ancienne génération sont en train de s’éteindre et que la littérature n’est pas morte avec leur cassure de la plume, on peut dire que la relève est assurée et que la littérature béninoise se porte très bien. Et il ne manque que sa promotion très malheureusement.

De votre retraite, qu’est-ce que vous en faites ?

De toutes les manières, contrairement aux autres corps de métiers, un inspecteur, chez nous, continue de fonctionner.   Donc, administrativement, je suis parti. Mais au plan de l’aide à la jeunesse montante, je continue d’être très présent sur le terrain. Et je continue de former et d’inspecter.

Ce qui est certain est que j’ai toujours eu des occasions où je parle de la littérature aux gens, je sensibilise beaucoup les jeunes enseignants. Et il faut avouer que ce sont les conditions qui leur sont faites qui ne leur permettent pas d’investir beaucoup dans le livre. Mais, au moins, je leur donne le goût de la lecture et rien qu’à me voir, je représente à leurs yeux quelque chose et ça les encourage aussi à aller vers la littérature.

Entretien  réalisé par Teddy GANDIGBE