Historien – Editeur, Enseignant – Chercheur à l’Université d’Abomey – Calavi, le Professeur Dieudonné Gnammankou dirige depuis une douzaine d’années les éditions DAGAN. Il est l’Editeur de Promenade dans la forêt, un receuil de nouvelles d’Olympe Bhêly Quenum. Il partage avec nous ses expériences avec le Patriarche des lettres béninoises. Radio Beninlivres, nous célébrons les noces de diamant du roman Un piège sans fin.
Interview
Radio Beninlivres : Professeur Dieudonné Gnammankou, en 2005, vous avez travaillé, en tant qu’Editeur, sur un manuscrit d’Olympe Bhêly Quenum. Promenade dans la forêt, parlez- nous en.
Dieudonné Gnammankou : La première maison d’édition que j’ai dirigée s’appelait Monde Global, créée à Paris en 2005. Dès que j’ai annoncé à mon papa, notre Patriarche des lettres béninoises et africaines, Olympe Bhêly Quenum la création de cette maison d’édition et mon projet de publier une collection de Lettres africaines, il m’a dit : « je t’envoie un texte, je te fais confiance ». Il m’a donc envoyé le manuscrit de Promenade dans la forêt ; c’est un recueil de nouvelles que j’ai publié en mars 2006 aux éditions Monde Global. Sur ce projet d’édition, j’ai fait appel à Julien Sinzogan qui est un grand artiste – mon artiste préféré parmi les artistes africains ; il fait des fresques monumentales sur l’esclavage, sur notre patrimoine vodoun Orisha. Je l’avais sollicité pour qu’il me fasse un dessin pour la couverture du livre ; ce qui fait qu’en mars 2006, au lancement de l’ouvrage sur mon stand d’éditeur au salon du livre de Paris, Julien Sinzogan y était aussi, c’est d’ailleurs lui qui a fait le décor du stand. Olympe Bhêly Quenum est venu pour présenter le livre et faire de dédicaces.
Il y a une anecdote autour de la publication de ce recueil de nouvelles. C’est le travail de ma correctrice littéraire. Puisque même si vous éditez un Prix Nobel de littérature, l’Editeur doit passer par toutes les étapes du processus d’édition de livres. Le texte est là, on le lit, on le relit, on le fait passer en comité de lecture… C’est ce que j’ai fait, et celle – ci m’a envoyé par mail ses observations. Elle avait trouvé quelques erreurs de stylistique d’après elle puis quelques coquilles qu’on peut trouver dans n’importe quel texte. Moi, très occupé à l’époque parce qu’on préparait la sortie de six livres pour le salon du livre de Paris en mars 2006, j’ai transféré immédiatement le mail à Olympe Bhêly Quenum sans avoir pris soin de lire les remarques, les corrections que proposait la correctrice littéraire.
De ce fait, j’ai reçu quelque heures après la réponse de Olympe Bhêly Quenum qui me disait : «, Dieudonné, c’est qui ta correctrice littéraire ?». Il m’a ensuite dit : « demande – lui de relire les passages qu’elle a signalés avec le dictionnaire Le Littré ». Il m’avait même précisé l’année d’édition du dictionnaire. Moi – même, je me suis procuré un exemplaire. J’ai lu les observations proposées par ma correctrice avec le Littré ; je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucune erreur stylistique. Il y avait effectivement des formulations employées par Olympe Bhêly Quenum qui paraissaient hors d’usage ou inexacte en 2005 ; en réalité, c’est du français, c’est du bon français, c’est du français très recherché dans la littérature aujourd’hui. Il n’y avait aucune faute stylistique, aucune faute grammaticale dans le manuscrit. Ce fut un bonheur pour moi de l’avoir publié et de faire le lancement du livre en sa présence, avec son épouse.
Vous qui l’avez côtoyé, qui avez lu la plupart de ses livres, comment définissez – vous Olympe Bhêly Quenum ?
C’est un Grand Ecrivain. L’anecdote que j’ai dite tantôt prouve bien qu’il est un Grand Ecrivain. C’est un Perfectionniste de la langue. Il fait de la recherche ; il n’écrit pas n’importe quoi ; il n’écrit pas n’importe comment. C’est un Grand Ecrivain doublé d’une érudition extraordinaire. Pas seulement parce qu’il a été occidentalisé, pas parce qu’il est allé jeune en Europe – je crois qu’il m’a dit que c’est sa mère qui lui a payé le bateau pour aller faire des études en France à l’époque. Il avait eu le temps de connaître l’Afrique, ses origines béninoises, de côtoyer sa mère qui a été, pendant longtemps une Grande Prêtresse vodoun. C’est un Grand Erudit, un Grand Connaisseur de la culture béninoise, la culture endogène béninoise mais aussi un Grand Erudit de l’histoire de l’Europe.
Olympe Bhêly Quenum , Grand Ecrivain – Grand Erudit – Grand Connaisseur de l’Afrique et du monde.
Pour avoir eu ce bonheur de l’avoir fréquenté de nombreuses années, il y a une chose qui m’a marqué en allant lui rendre visite chez lui à la maison, avec son épouse : c’est sa bibliothèque d’Ecrivain. Olympe Bhêly Quenum a une superbe bibliothèque. J’en rêve depuis 25 ans que je l’ai visitée.
Décrivez – nous brièvement cette bibliothèque ?
C’est d’abord l’espace. Le Patriarche a construit sa maison en faisant le plan de sa bibliothèque. Les meubles sont de très grande qualité ; la disposition des ouvrages. Si vous avez la chance d’entrer dans la bibliothèque d’Olympe Bhêly Quenum, si vous êtes un passionné de livres, je crois que vous ne voudrez pas sortir de là. C’est un Grand Erudit ; il collectionne des livres de très Grands auteurs.
Un piège sans fin, en tant qu’Historien de la littérature, qu’est- ce que vous dites de ce livre ?
L’Historien de la littérature, observe le parcours des auteurs, les parcours des œuvres aussi. Je n’ai pas grandi au Bénin mais en Côte d’Ivoire ; Olympe Bhêly Quenum était connu un peu partout en Afrique. Ce nom – là, je le connaissais, enfant en Côte d’Ivoire. J’avais eu l’occasion de lire avant la fin du lycée quelques –un de ses livres. Je connaissais l’auteur ; j’ai eu la chance de le rencontrer en 1994 lorsque le Bénin avait organisé la Route de l’Esclave à Ouidah.
D’ailleurs, cela aussi est une anecdote. Les participants à cet événement étaient logés dans des villas et hôtels à Ouidah. Le car vient nous chercher de villa en villa pour nous conduire à la salle des conférences de la ville. Je me retrouve assis là où il y a deux places vides. Quelques instants après, un monsieur d’un certain âge entre, cherche une place et vient s’assoir à mes côtés. Je le regarde et je me dis que ce visage m’est familier ; il ressemble à des photos que j’avais vues en quatrième de couverture de livres. Je lui ai alors dit : monsieur, pardonnez – moi, ne seriez – vous pas Olympe Bhêly Quenum ? Et il dit oui. J’étais tellement heureux ce jour – là d’être assis à côté de lui. Je le lui ai dit.
Un pièges sans fin, une œuvre publiée il y a 60 ans mais qui reste dans l’actualité ; elle est entrée dans l’immortalité. Des générations d’Africains, après nous, continueront d’aimer ce livre, de l’apprécier et de le lire. Un auteur peut réussir un chef –d’œuvre avec sa première publication ; tout comme il peut en écrire vingt avant d’en arriver là. Olympe Bhêly Quenum a démarré en fanfare. Je me souviens, il y a 20 ans exactement, j’étais collaborateur à la rubrique culturelle et littéraire du magazine Jeune Afrique – à l’occasion des 40 ans du roman, j’avais proposé d’écrire un article sur lui qui avait été accepté par la rédaction. Cela avait été une occasion de faire la rétrospective des 40 ans d’Un piège sans fin et des œuvres littéraires du Patriarche.
Un pièges sans fin est entré dans l’immortalité
Nous voilà 20 ans après, j’avais presque oublié la date anniversaire. Mais depuis quelques semaines, je vois sur internet, sur les réseaux sociaux que non seulement Olympe Bhêly Quenum n’est pas oublié – surtout le roman Un piège sans fin est toujours dans l’actualité. J’ai lu les hommages au Patriarche. C’est une œuvre qui a fait date et qui continue de faire date. Déjà six décennies pour ce roman. C’est une œuvre exceptionnelle.
Réalisation : Esckil AGBO,
©BENINLIVRES, Porto – Novo, avril 2020