Promoteur des Rencontres internationales du livre du Bénin (la biennale panafricaine du livre) et de la web radio 100% littérature, Esckil Agbo est un jeune acteur très actif dans le secteur du livre et de la lecture au Bénin. Volontiers, il nous a accordé un entretien pour passer en revue les 4 ans du régime de la Rupture dans le secteur littéraire.
Interview
RADIO BENINLIVRES : Quatre ans après l’avènement du régime de la Rupture, peut-on affirmer que le secteur du livre se porte mieux que par le passé ?
Esckil AGBO : Dire que le secteur du livre se porte mieux serait un abus de langage. Ce serait un peu tôt de s’exprimer ainsi. Des efforts sont fournis pour le sortir de la pénible situation qu’il a connue par le passé. Mais il reste du chemin à parcourir.
En 4 ans qu’est ce qui a fondamentalement changé ?
Je note le changement sur quatre paliers :
- Nous constatons un début d’assainissement du secteur. Les libraires sont désormais en association – les éditeurs, aussi. Les blogueurs et diffuseurs de livre préparent activement l’assemblée générale qui va les mettre officiellement en association.
- Le Prix Président de la République est devenu Grand Prix littéraire du Bénin et prend désormais en compte plusieurs genres littéraires.
- La participation régulière et remarquable du Bénin au Salon du livre de Paris qui est l’un des plus grands salons de livre au monde.
- Je n’oublie pas l’organisation du Salon national du livre. Il est vrai que ce n’est pas encore ce qu’il faut.
- Ce qui a également changé, c’est la floraison au niveau des initiatives privées. Il y a une sorte d’engouement, une sorte de réveil des acteurs du livre. Presque tous les chefs – lieux des départements ont, au moins un événement littéraire. En un mot, la promotion du livre et de la lecture prend progressivement corps dans tout le pays.
Qu’est – ce que vous reprochez à l’organisation du Salon national du livre ?
Beaucoup de choses. La première, c’est qu’il n’existe pas une période fixe pour la tenue de ce salon. Il manque de rigueur à ce niveau. En France par exemple, le Salon national du livre se tient annuellement, dans le mois de mars. C’est connu de tous. En Côte d’Ivoire, la période du Marché des arts du spectacle d’Abidjan, c’est connu. Même chose pour le Salon du livre d’Abidjan. Il en est de même pour le Fespaco au Burkina Faso, la biennale Dak’Art au Sénégal, les 72 heures du livre de Conakry, le festival sur le fleuve Niger au Mali. La date sinon la période où il faut organiser notre salon national du livre varie selon l’humeur du décideur. Nous sommes au 5ème mois de l’année, mais, on ne sait pas quand aura lieu le Salon national du livre 2020.
La deuxième chose : j’ai constaté que pendant la semaine où le salon a lieu, tout le personnel de la direction des arts et du livre, sinon presque – est détaché sur le lieu de l’événement. La conséquence directe, c’est que le fonctionnement de la direction est aux arrêts pendant cette période. La source de ce problème, c’est que l’Etat à travers ses agents est organisateur du salon. Autrement dit, tous les agents de la DAL sont membres du comité d’organisation du salon alors qu’ils ne sont pas tous Professionnels de la chose ; être bibliothécaires ou agents à la direction du livre ne veut pas forcément signifier qu’on a les aptitudes pour tenir un salon du livre. Il y a des Professionnels de l’événementiel littéraire sur le terrain ; il y en a qui ont fait leurs preuves aussi bien au Bénin qu’à l’extérieur. On peut confier l’organisation à ceux – là.
Il faut fortement impliquer les professionnels du livre (libraires, écrivains, éditeurs, diffuseurs, chroniqueurs/ critiques, promoteurs) dans l’organisation. Pas les appeler / contacter la veille de l’événement pour dire ‘’ vous êtes retenu pour aire une communication lors de la table ronde ou lors des échanges pendant le salon – ou bien nous vous avons réservé un stand pendant le salon… ‘’ Impliquer les professionnels du livre dans l’organisation du salon, c’est les avoir dans tous le processus de préparation et de déroulement de l’événement.
Je ne dis pas de leur remettre de l’argent ; mais sur l’organisation pratique, sur l’aspect technique ; sur les activités à faire, sur les débats à initier ; sur la question logistique, sur la programmation…., écarter les professionnels est une faute qu’il ne faille répéter les fois à venir.
Troisième chose : il faut travailler la communication ; pas seulement la communication dans les média (web, radio, télé, journaux, panneaux publicitaires (d’ailleurs pour les panneaux, il n’y en a jamais eu ; en tout cas, je n’ai jamais vu de grands panneaux publicitaires sur notre salon national de livre)) ; mais la communication de proximité. Il faut de la communication stratégique : cibler les restaurants, les ambassades, les universités publiques comme privées, les lycées, les collèges…..
Le Bénin veut « créer une économie de l’édition ». Le ministre en a parlé en présentant le bilan de l’an 4. Vous y croyez ?
J’y crois. Avec une sincère volonté, avec de la rigueur, avec du sérieux, on peut la créer, cette économie.
Quelles sont vos propositions pour parvenir à cette économie de l’édition ?
Je propose qu’on mette en place un mécanisme d’identification des éditeurs, les vrais. Ceci sans complaisance, sans tricherie… Ce corps de la chaîne du livre est de plus en plus victime d’une prostitution avancée. Il y figure trop de plaisantins qui s’érigent en éditeurs. Il faut définir des critères clairs, selon les normes à l’international et les appliquer sans état d’âme.
De même, pour parvenir à cette économie de l’édition, il faut que l’Etat accompagne financièrement, techniquement et aussi par des formations régulières le corps des éditeurs, une fois assaini. Enfin, il faut la politique du prix unique du livre.
La Direction des Arts et du Livre dans sa forme actuelle répond-t-elle aux attentes des auteurs ? Pourquoi ?
Je ne sais pas trop ce que vous mettez dans « sa forme actuelle ». Si, c’est de la tête, vous parlez, oui elle répond à nos attentes. Etant lui – même un professionnel du livre, le Directeur Koffi Attédé est conscient qu’il n’a pas le droit d’échouer. Il n’a pas droit à l’échec. Le livre, c’est son métier. C’est son domaine. Après la direction, il sera, de nouveau, au sein des siens. Et il travaille, je le constate, dans ce sens.
Toutefois, je voudrais préciser que la direction n’a pas de bibliothèque. Je ne pense pas qu’on peut désigner ce qui est là bibliothèque. C’est un magasin. Il faut une vraie bibliothèque à la direction des arts et du livre.
Propos recueillis par Gloria ZOMAHOUN pour BENINLIVRES