Entretien. Son livre Potions thérapeutiques aux soleils de la démocratie en Afrique est une autopsie des systèmes démocratiques africains. Il est publié en septembre 2020 aux éditions Plumes Soleil à Cotonou. Etienne BIBI, l’auteur en parle dans cet entretien qu’il a accordé à radio Beninlivres.
Interview
Radio Beninlivres : Veuillez-vous présenter à nos lecteurs.
Etienne BIBI: Je suis Etienne Mombinon BIBI, écrivain béninois, natif des collines plus précisément de Ouessè Wogoudo, “ le pays des sept rivières ”,— comme les fils de ce milieu ont coutume de le dire avec affection — et l’un des greniers du Bénin, notre chère patrie.
Je suis un enseignant des Lettres dans les lycées et collèges du Bénin.
Potions thérapeutiques aux soleils de la démocratie en Afrique. C’est le titre de votre premier livre, paru en septembre dernier aux éditions Plumes Soleil. Un essai sociopolitique qui tente de trouver des remèdes aux nombreux problèmes de la démocratie en Afrique. Quelle est la genèse de l’ouvrage?
Génial ! Vous savez, l’Afrique se meurt. Elle est prise en otage surtout dans les pays africains francophones par des voyoucrates. Elle est malade parce qu’il y a à sa tête des dirigeants malades qui marchent royalement sur les principes et les acquis démocratiques des années 90, tournent allègrement dos aux exigences du développement, s’abonnent à la politique de leur ventre et de leur bas-ventre et sont irrespectueux du Droit et de la Justice. Ainsi, ils plongent les jeunes, avides du travail, dans la paupérisation qui les abîme. Pis, la paix est devenue un vain mot. Elle est violée par nos chefs d’État férus et champions des élections non transparentes.
Dans ce contexte qui donne un haut-le-cœur, —si on ne veut pas être un Tartuffe— il s’avère utile de tirer sur la sonnette d’alarme et de proposer une thérapie à ces démocraties galvaudées sous les tropiques. Voyez-vous ? Bref, c’est ce qui nous a poussé à accoucher nos idées dans cet essai sociopolitique.
Vous y avez évoqué cinq mesures pour assainir le système démocratique en Afrique. La question de la liberté est l’un des éléments clés sur lesquels vous avez accentué votre développement. A la page 36 du livre, vous affirmez ceci: << (…) Celui qui exerce une fonction régalienne doit accepter l’outrage >>. Quel message voudriez-vous passer par cette phrase ? Ne seriez – vous pas, sous le pouvoir de la liberté, en train de prôner l’outrage des institutions démocratiques puisque celui qui exerce une fonction régalienne est à part entière une institution ?
Non. Du tout pas. Une telle affirmation ne prône pas l’outrage des institutions démocratiques. Bien au contraire. L’outrage est santé. Un chef d’Etat doit accepter qu’on le critique, le dénonce et le secoue. Il doit apprendre à digérer les propos même les plus grossiers qui le choquent , car il est là pour construire, à moins qu’on ne soit en démocratie. Les critiques font du bien à une nation. Elles dessillent les yeux au prince, lui permettent de prendre conscience de l’état de la nation qu’il dirige, de savoir ce qui va et ce qui ne va pas encore. Mais généralement en Afrique, les chefs d’État ont horreur des moqueries et des critiques. Ils s’en offusquent et se plaisent à mener une chasse à l’homme qui débouche sur les arrestations arbitraires, l’exil des opposants, la normalisation du parti unique, l’interdiction des marches pacifiques, la violation au quotidien de la liberté d’expression, la violence, etc. La situation sociopolitique du Bénin, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Cameroun, du Nigéria, du Gabon, du Togo et tutti quanti mérite un œil attentif.
Plus loin, à la page 44, vous lancez : << Il n’y a que de mots poignants pour exprimer le fonctionnement de la démocratie en Afrique (…) >>. L’ Afrique n’est donc pas un exemple en matière de démocratie, sommes – nous tenté de déduire de votre assertion. Vous partagez donc l’assertion qui dit que la démocratie n’est pas faite pour l’Afrique ?
Je dirai oui et non.
Si oui, quel est l’intérêt de votre ouvrage ?
Je suis dans un premier temps affirmatif voire pessimiste parce que l’Afrique quitte davantage la démocratie pour la démocrature. Voyez vous-même, ce syndrome antidémocratique qui consiste à remettre le compteur présidentiel à zéro dans le seul souci de briguer un nouveau mandat ou d’être un chef d’État à vie. D’autres détails sont évoqués dans mon livre et qui montrent vraiment qu’il s’agit de la théorie lorsqu’on parle de la démocratie en Afrique. C’est révoltant et ahurissant.
Cet ouvrage permet donc de comprendre le fonctionnement de la pratique de la démocratie en Afrique et de projeter nos regards sur l’avenir de ce continent. Je pense que ce livre pourra éduquer les jeunes à ce propos et permettra également aux dirigeants africains de faire preuve d’une bonne gouvernance.
Si non pourquoi ?
Je réponds par non dans un deuxième temps en ce sens que la démocratie n’est pas l’apanage exclusif d’un continent ou d’un pays donné. C’est une question de volonté et d’engagement. On peut la réinventer et l’adapter autrement à nos cultures en maintenant les règles basiques qui prônent les Droits de l’Homme, l’alternance au pouvoir, le pluralisme politique… Pour preuve, le Bénin —avant le 6 avril 2016— a toujours été cité comme un modèle démocratique. L’Afrique peut bien évidemment, à l’école de la démocratie, être un bon maître si ses dirigeants le décident; s’ils s’ouvrent vraiment à ce régime que je trouve moins vicieux. Certes, aucune démocratie au monde n’est parfaite puisqu’aucun homme n’est parfait. Même en Amérique chez Trump, le racisme s’enracine alors qu’on clame le droit et l’égalité des humains.
Mais faisons l’effort de tendre vers la perfection. C’est cela le but de l’existence humaine. C’est pourquoi l’Afrique doit perfectionner ses démocraties.
La cinquième potion que vous avez proposée est la souveraineté monétaire. Vous n’êtes pas le premier auteur à défendre cette idée. Êtes- vous réaliste lorsque vous rêvez de cette monnaie ?
Je ne suis pas un vendeur d’illusion. Ne voyons pas l’impossible en tout. Je suis réaliste à travers ce vœu émis : battre monnaie. L’ Afrique est en mesure de le réaliser. Il suffirait que les chefs d’État s’unissent, sortent de leur irresponsabilité et se refusent d’être des traites et des marionnettes. Vous verrez que ça va prendre. Mais s’il faut être un chef d’État comme Alassane Dramane Ouattara, pardieu, l’Afrique serait toujours lésée et ne pourrait prospérer monétairement et politiquement. ADO est un danger pour l’Afrique. C’est le symbole de la françafrique et du néocolonialisme.
Par ailleurs, nous, jeunes africains, devons être aussi pragmatiques et afropatriotiques. Vous verrez que les choses vont bouger et il y aura du réalisme.
Un mot pour conclure
En conclusion, réinventons encore les années 90. Il faut un nouvel élan pour l’enracinement de la démocratie en Afrique à travers un nouveau contrat social afin de mettre fin à la pagaille. Ceci doit être une mesure d’urgence sinon l’orage qui agite notre continent lui pourrait être fatal. En bon entendeur…
Réalisation : Esckil AGBO © BENINLIVRES, novembre 2020