Jérôme TOSSAVI est un jeune écrivain béninois polyvalent qui, vaille que vaille, imprime son nom dans le registre des grands auteurs africains. Poète ‘’de souche’’, il a été le seul Africain au sein des lauréats de l’édition 2015 du Prix International de la Poésie “Sur les traces de Léopold Sédar Senghor”. Il sort le 23 février 2019 son 1er roman : Oraisons pour un vivant. Que cache un titre aussi provocateur ? Quels sont les grands sujets qui y sont développés et à quoi pourrait s’attendre le lecteur qui décide de parcourir ses pages ? A chacune de ces différentes préoccupations, notre invité de la semaine a essayé d’apporter de réponses.
Interview
Radio Beninlivres : Vous lancerez en février prochain votre nouveau livre. Votre 1er roman. Présentez – nous brièvement cet ouvrage.
Jérôme Tossavi : Oraisons pour un vivant est un vœu de faire parler un absent. Un absent si présent dans la vie du narrateur qui le livre à la parole pour mieux essuyer son deuil. Le roman se présente comme une série de chroniques sur les vieux jours d’un vieux mort par asphyxie occultiste par ses frères villageois allergiques à son retour au village.
En effet, le vieux venait de prendre sa retraite de la fonction publique en ville. Contre l’avis de ses enfants, il a décidé de rejoindre sa terre natale pour s’adonner aux travaux champêtres. Ce fut le coup fatal. Le citadin trouve que rien n’est à sa place au sein de cette bourgade.Il bousculera les habitudes de la cour familiale en s’attaquant à Akidé, son demi-frère, qui ne se fatigue pas à brader tous les biens de la famille. Akidé régnait en maître sur Ouèssè-Wogoudo terrorisant les membres de la famille à cause de son statut de sorcier craint de tous. Le vieux va l’affronter. Ceci va lui coûter la vie.
Un mauvais vent soufflera sur le village à la chute du vieux qui ne digère pas sa mort. Il passera à la trappe tous ceux qui ont attenté à sa vie. Assassinats, bains de sang, folies, agonies, confessions à un absent. Chaque jour s’éveille désormais à Ouèssè avec un cas de décès qui choque les sensibilités. Les esprits hantés cherchent par tous les moyens à se débarrasser du cadavre du vieux qui semble pourrir dans les placards. Ils font chercher à faire précipiter les cérémonies et le jour d’enterrement d’un cadavre capricieux. Mais c’est mal connaître, un mal mort qui feintera toutes leurs envies pour se faire enterrer ou se faire évader loin de sa terre natale souillée de toutes les fautes. Oraisons pour un vivant parle de la vie pour se moquer de la mort.
Parlez – nous des coulisses de sa rédaction
Le projet est né à la messe d’inhumation de mon père le 29 janvier 2016 à Ouèssè-Wogoudo. J’étais désigné au nom de la famille, de dire les oraisons au cours de cette messe. L’émotion aidant, je n’ai pu finir de décliner tous les mots tellement la parole était lourde à porter pour moi ce jour de grande évasion.
J’entrepris de pondre une longue litanie sur la vie et sur la mort du vieux en commettant ce roman qui se focalise sur le caractère de cannibalisme de notre Bénin généreux en méchancetés et attaques fétichistes. C’est une tribune de toilettage de notre société qui se pourrit à la base.
Sinon comment comprendre l’état de ruine de nos villages alors qu’ils ont donné naissance à de grands cadres qui gouvernent la tête du pays ? Comment comprendre l’exode rural qui oblige les citadins à opter pour un exil forcé loin de leurs terres natales tombée en désuétude ? Le déclic de ce roman naîtra donc du recensement de ces questions.
Le préfacier salue justement le caractère réaliste de l’œuvre. Et j’y consens. C’est fait à dessein pour accrocher le lecteur et le camper dans la situation, il ne faut pas trop fantasmer. Il faut appeler les choses par leur nom. Voilà pourquoi dans Oraisons, les choses, les êtres et les lieux sont nommés avec des traits clairement reconnaissables pour approcher la réalité du mensonge.
Que cache ce titre que nous trouvons ‘’oxymorique’’ et quels sont les grands thèmes que le roman a développés ?
Oraisons pour un vivant est un titre provocateur. La provocation nait de l’ambition de déifier un mort, d’absenter un présent ou de présenter un absent qui refuse de s’évader de mon cerveau éploré. Il suggère l’animosité qui se cache en nous et révèle notre état de méchanceté. Un homme est un loup pour l’homme surtout chez nous au pays. La volonté d’introniser le vieux et d’en faire une icône m’attache à l’idée de son immortalité. D’où la vraie genèse du titre Oraisons pour un vivant (et non pour un mort) alors même que le vocable d’Oraisons renvoie d’office au funérarium et cantiques funèbres.
C’est là où se joue tout le jeu de la mesure et de la démesure de la fiction narrative qui me campe dans ma peau de poète diseur du monde et des choses inouïes. Un grand thème se lit en filigrane dans la dose du roman : la question du retour au village. Ce thème va drainer des micros récits perplexes de la satire où le rire s’invite à chaque carrefour de la douleur pour miroiter au lecteur la déshumanisation que nous cultivons et arrosons chaque matin de notre vie. On notera donc des sous-thèmes tels que la mort, la vie, la jalousie, la pauvreté pour ne citer que ceux-là.
Quel serait l’effet de votre ouvrage sur son lecteur ?
Chaque lecteur à son degré de sensibilité et d’amabilité. Un livre n’est pas forcément un moratoire et le romancier n’est pas un moraliste. Par contre, le prosateur ne fait que miroiter au lecteur les plaies de sa société pour l’aider à s’y identifier donc à s’y plaire ou déplaire. Dans Oraisons, chaque lecteur trouvera sa tribune de chute ou de relais, de vie ou de mort, d’envies ou d’angoisses, de rire ou de larmes.
Un mot pour conclure.
J’invite les uns et les autres à s’associer à nous le 23 février 2019 sous la paillote de l’Institut Français du Bénin (ex centre culturel français de Cotonou) pour porter sur l’agora ce roman de toutes les palpitations.
Réalisation : Esckil AGBO