Interview / Koffi Attédé : « Le paysage littéraire béninois s’est rajeuni, nous y avons beaucoup contribué »

Interview / Koffi Attédé : « Le paysage littéraire béninois s’est rajeuni,  nous y avons beaucoup contribué »

Koffi Attédé est un Editeur béninois, promoteur du concours d’écriture Plumes Dorées. Il est l’invité de notre rubrique ” Parole à un Acteur du Livre” du mercredi 17 juin 2020. Au menu de notre entretien, plusieurs sujets dont le bilan des dix éditions de son concours national d’écriture, Plumes Dorées.

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Radio Beninlivres : Monsieur Koffi Attédé, vous êtes le Directeur Général des Editions Plurielles, créée il y a une dizaine d’années. Veuillez- nous rappeler les motivations qui étaient à la base de votre initiative.


Koffi Attédé : Nous étions, il y a 10 ans, dans un environnement marqué par ce que je peux appeler le mythe de l’éditeur. Trouver à l’époque un interlocuteur en cette matière-là, relevait d’un véritable exploit. C’était quasi impossible sauf si le demandeur en avait les moyens relationnels et/ou financiers, ou s’il trouve une place dans une collection d’un éditeur étranger, français en l’occurrence. Nous avions la force, l’envie et les moyens de proposer une alternative et c’est ce que nous avons fait. Dix ans après, la situation a énormément changé et des compétences existent localement. Nous en faisons partie.

Vous en êtes fier certainement !


Oui, absolument. D’autant plus que le paysage littéraire béninois s’est considérablement rajeuni et renouvelé. Et nous y avons beaucoup contribué.

Votre maison d’édition a organisé pendant dix ans un concours littéraire dénommé Plumes dorées. Que retenir, en dix ans du parcours ?


Plumes Dorées en 10 ans, ce sont quelques 300 jeunes porteurs de projets d’écriture détectés, dont 150 formés en ateliers d’écriture, 40 en résidences d’écriture, 46 publiés et promus dans 10 ouvrages individuels et collectifs.

Mais c’est surtout un renouvellement et un rajeunissement importants de l’environnement littéraire national.

M. Attédé, qu’est-ce que vous dites du secteur littéraire béninois de nos jours ?
D’abord, il faut reconnaître qu’aujourd’hui, il y a une belle floraison de jeunes écrivains de talent dans presque tous les genres littéraires, soutenus et accompagnés par leurs aînés résidents. Et ces jeunes créateurs se retrouvent aussi bien au Bénin que parmi nos compatriotes de la diaspora. Je pense notamment à Ezin Pierre DognonIman EyitayoHurcyle Gnonhoué et à Yemissi Fadé.

Ensuite, contrairement à ce qui s’entend ci et là, je trouve que la volonté politique existe et est flagrante. Il suffit de lire le décret 414 du 20 juillet 2016 portant AOF du ministère du tourisme et de la culture en son Chapitre 7, section 1, sous section 3 qui fixe les missions dévolues à la direction des arts et du livre. L’essentiel pour commencer y est.

Toujours dans le champ de la volonté politique, le budget du ministère est passé en 2017 de 11 à 35 milliards. Pour moi, l’État a posé les bases. Restent les hommes. Mais des questions se posent à leur sujet. Qui sont-ils ? Sont-ils qualifiés pour la mission ? Sont-ils en nombre suffisant ? Sont-ils chacun en ce qui le concerne dans la bonne position ? Connaissent-ils les grands enjeux du secteur ? Les ont-ils cernés, compris ? Savent-ils quoi faire et l’ordre dans lequel il faut mener les actions pour faire rayonner le secteur et soulager ses acteurs ? Ce sont là, de mon point de vue, les vraies questions.

Enfin, je trouve que le manque ou la faiblesse de certains chaînons empêche la création d’une véritable industrie du livre ou au mieux compromet sa viabilité et son développement. Par exemple, la qualité de l’assortiment de nos librairies au regard de la production locale doit sérieusement nous interpeler. L’inexistence de distributeurs, de diffuseurs, d’une base de données bibliographiques est aussi un poison qui a fini de consacrer la désarticulation du secteur et l’amateurisme de nombre de ses acteurs.

Le comble, ce sont les unités de production. Je trouve, c’est un véritable enjeu. Un enjeu de souveraineté. Même si des efforts sont faits par quelques rares imprimeurs, nos livres restent peu attrayants, très peu compétitifs sur les marchés mondiaux, ce qui contraint certains éditeurs à l’extraversion. Chaque année, la quête de la qualité fait perdre aux imprimeries de notre pays, des centaines de millions de francs au profit de l’Ile Maurice, la Chine, l’Inde, la Tunisie, le Maroc, le Nigeria, la France et depuis peu, la Russie et la Pologne. C’est une grande perte pour notre économie, quoi qu’on dise.

Etes – vous vraiment sûr que les autorités béninoises ont une vision pour le développement de ce secteur ?
S’il y a une chose dont je ne doute plus, c’est la volonté politique qui est d’ailleurs clairement exprimée par l’État béninois. Pour ce qui est de la vision, je suppose qu’elle existe mais pour moi, elle est illisible.

Il est chanté sur tous les toits que la jeunesse ne lit pas ou ne lit plus. Mais nous constatons que le cercle de la famille des auteurs/ écrivains croît quotidiennement. Ne trouvez- vous pas cela paradoxale? Pour qui, écrivent-ils dans ce cas ?


Je constate aussi que les agents des services publics, de l’administration territoriale, les gendarmes, les policiers, les hommes politiques, les hommes d’affaire, les jeunes entrepreneurs par exemple ne lisent pas. Ou très peu.

Ceux qui disent que les jeunes ne lisent pas doivent commencer à lire eux-mêmes. Les jeunes ne reproduisent que ce qu’ils voient leurs aînés, parents, enseignants faire. Nous n’avons pas le droit d’emprunter de tels raccourcis avec autant de facilité et si peu d’égard pour nos enfants, nos frères. C’est triste d’entendre ce genre de propos.

Ne disons plus que les jeunes ne lisent pas. Demandons-nous plutôt ce que nous leur donnons à lire, où, comment et à quelle fréquence ? Offrons-leur des livres, construisons leur de vraies bibliothèques, bien animées et entretenues. Ce n’est qu’après que nous aurons le droit de les juger. Pas avant, pas aujourd’hui.

Que répondez-vous aux acteurs culturels qui pensent que la participation du Bénin aux événements littéraires à l’extérieur est inutile ?


C’est petit, puéril et pathétique comme façon de réfléchir. Mais c’est leur avis. Je le respecte sans le partager.

Quel est votre avis sur l’organisation du Prix Littéraire Président de la République ?
C’est utile, perfectible, très valorisant pour nos écrivains et pour toute la chaîne nationale du livre. Et je voudrais souhaiter que le Chef de l’État prenne la mesure de l’enjeu que représente ce prix pour le rayonnement culturel de notre pays et pour lui en tant qu’institution.

Qu’est- ce que vous suggérez pour l’organisation des prochaines éditions, s’il y en aurait ?


Déjà qu’il se tienne cette année. Et toutes les autres, régulièrement, annuellement. Que le Chef de l’État fasse l’honneur à l’écrivain lauréat de lui remettre en main propre le prix. Que l’événement grandisse en prestige, en visibilité, en qualité d’organisation, en moyens et en avantages pour le lauréat. Les effets induits seront exceptionnels.

Cet entretien a été réalisé par Esckil AGBO mai 2017, bien avant que Koffi Attédé ne soit nommé Directeur des Arts et du Livre.