Interview / Robert EDJAMIAN : « Un plaisantin ne peut pas conduire un foyer polygamique »

Interview / Robert EDJAMIAN : «  Un plaisantin ne peut pas conduire un foyer polygamique »


L’ENTRETIEN. Finaliste du Grand Prix littéraire du Bénin en 2019, avec son roman La cinquième épouse, Robert Edjamian est l’invité de radio Beninlivres, du dimanche 24 octobre 2021. Il répond à nos questions sur Ledit roman.

INTERVIEW


Radio Beninlivres : Robert Edjamian, vous êtes l’auteur du roman La cinquième épouse, paru en 2019 chez Venus d’Ebène. Qu’est – ce que nos internautes peuvent brièvement savoir de votre ouvrage ?


Robert EDJAMIAN : La cinquième épouse est un roman à dimension culturelle qui met l’accent sur nos valeurs morales traditionnelles, sur nos us et coutumes, sur ce qui parait incompatible à la morale familiale dans notre société, aussi bien traditionnelle que contemporaine.
Dans La cinquième épouse, nous avons abordé un problème épineux, celui de l’adultère. Mais il ne s’agit pas d’un simple adultère. Il s’agit d’un adultère doublé d’inceste d’autant plus que le cocufieur est le jeune frère biologique du mari cocu.


Quand on lit le titre du roman, on comprend que le fil conducteur du récit est la polygamie. Le lecteur s’attend à ce que vous exposiez les méfaits de cette pratique : le désaccord perpétuel entre les coépouses, les querelles incessantes, l’éducation bâclée des enfants, la pauvreté, etc. Mais loin de là, vous avez plutôt montré une famille polygamique sans trouble ni tumulte entre les coépouses, qui, d’ailleurs ne manquent de rien. Les épouses d’Alain s’entendent bien. Quelle est votre intention lorsque vous décidez ainsi de présenter à vos lecteurs un pareil foyer polygamique ? 


C’est vrai, on pourrait s’attendre à voir ressasser les éternels méfaits de la polygamie. Mais cela ne servirait pas à grand-chose puisque c’est déjà connu de tous. Ce qui ne l’est pas, c’est cette entente apparente, pourtant précaire, qui règne parfois, comme c’est le cas dans le livre. Tout dépend du charisme et de l’autorité de l’époux.


Pour en arriver là, il faut être sans doute un époux dictateur dont les décisions sont sans recours. N’est – ce pas ?

(Rire) Pas forcément dictateur, mais un polygame, comme je l’ai dit doit avoir de l’autorité. Il doit savoir s’imposer à ses femmes. Je pense qu’un plaisantin ne peut pas conduire un foyer polygamique.

Et je vous dis en même temps que tout ne va jamais bien dans un foyer polygamique. On s’en rend d’ailleurs compte en lisant ce roman.


Nous revenons sur la deuxième question. Et quelle votre intension en présentant ce type de foyer polygamique ?
Notre intention, pour revenir à votre question, est d’aborder un autre phénomène sérieux lié à la polygamie et dont on ne parle pas souvent, celui de l’adultère. Ce qui nous permet de montrer subtilement les insuffisances de la polygamie mais aussi les dangers qu’on encoure en tournant le dos à sa tradition, à sa culture, aux bonnes mœurs et à la morale familiale et sociale.

De la polygamie, vous conduisez le lecteur à un autre phénomène : l’infidélité, l’adultère. Edwige, la cinquième épouse d’Alain s’unit sexuellement à Francis, son beau-frère. Ceci, à plusieurs reprises. Quel message voudriez – vous passer par cette séquence de votre roman ?

En effet, ce roman exhorte à plus de retenue dans les actes et à plus de sérénité dans les jugements, car un tout petit manquement à l’ordre moral établi, peut entraîner de terribles désagréments. Cela passe donc par une prise de conscience de nos valeurs culturelles et morales afin d’avoir une conduite responsable vis-à-vis des mœurs et de toutes ces pratiques immorales. Si Francis n’avait pas couché avec la femme de son frère, il n’aurait pas senti le besoin de chercher à se protéger de lui. Un tel comportement est forcément répréhensible et nuisible à l’harmonie au sein d’une famille.

La paix sociale dépend du respect des normes établies et des valeurs culturelles et morales qui sont considérées à juste titre, comme des lois naturelles qu’il ne faut pas transgresser.

L’acte commis par Edwige et Francis est condamnable. Mais d’une manière ou d’une autre, on peut dire que le contexte s’y est prêté. La rencontre fortuite dans la salle de bain, la scène du pagne et la longue absence d’Alain (une chose qui a sans doute causé un sevrage charnel brutal à Edwige qui venait de rejoindre son époux Alain), ces éléments ne sont – ils pas des circonstances qui ont favorisé la copulation entre les deux ?

Ecoutez, l’acte commis par Edwige et Francis n’est pas simplement condamnable, peu importent les circonstances. C’est un acte dégradant qu’aucun contexte ne peut atténuer, même pas l’absence prolongée d’un mari égoïste et peut-être irresponsable. Autant Francis s’est détourné de la morale familiale et sociale en cocufiant son propre grand-frère, celui-là même qui lui a tout donné, autant Edwige n’a pu préserver sa dignité et celle de sa propre famille. Son acte est une insulte à la morale conjugale et une façon de remettre en question toutes les valeurs morales qui lui ont été enseigné. En faisant l’amour avec son beau-frère, le contexte dont vous parlez est devenu irrecevable. Chacun d’eux avait une vertu à défendre et ils ne l’ont pas fait.
Quant à Alain, on ne peut directement pas le rendre responsable de ce qui est arrivé. Cependant, avoir plusieurs femmes à satisfaire sexuellement et se permettre des absences prolongées rendent vulnérables ses épouses et Edwige en particulier.

Comment expliquez – vous-même la fin des deux amants ? Edwige qui s’est suicidée et Francis, en état de démence est porté disparu.

Vous savez, le sort de Francis n’est pas directement lié à l’adultère. Il n’avait pas réussi son initiation. Et dans ce cas, il ne pouvait pas survivre sans de graves séquelles. Il devait le payer de sa vie.
Edwige par contre est morte dans l’honneur. Elle s’est suicidée pour ne pas avoir à affronter les regards de ses coépouses, ceux de ses parents et beaux-parents qui l’ont aimée et protégée. Elle ne voulait pas non plus affronter la vindicte sociale et exposer davantage ses parents aux divers commérages qui auraient duré aussi longtemps qu’elle vivrait.

L’histoire se déroule à Covè et, le fantastique est l’un des tons dominants dans votre ouvrage. Vous avez développé dans l’œuvre des scènes qui dépassent l’entendement humain. L’occultisme et la sorcellerie y ont occupé une bonne partie. Pourquoi cela ? Est – ce pour confirmer les dires qui présentent Covè comme une localité réputée dans les pratiques occultes ?

(Rires) Ah bon ? Je suis moi-même de Covè et je ne le savais pas pourtant ! Ecoutez, tous ceux qui présentent Agonlin comme une localité réputée dans les pratiques occultes font des affirmations gratuites. Dites-moi plutôt qu’un Agonlinou en particulier ou le Mahi en général est très attaché à ses cultures, à ses coutumes et à ses traditions et je serai d’accord avec vous. N’avez-vous jamais appris ce qu’on dit de Ouidah, de Calavi, d’Adja, de Savalou et j’en passe ? Covè n’est ni plus dangereux, ni plus redoutable qu’aucune autre localité du Benin.
Le fantastique dans ce roman n’est pas forcément dû à l’espace géographique dans lequel l’histoire se déroule. Ce que vous appelez occultisme et la sorcellerie existe partout et pas seulement à Covè. Mais j’ai choisi Covè parce que je suis originaire de cette localité et je sais que personne ne viendra mieux parler de cette région à notre place. Personne ne viendra la décrire, magnifier ses richesses culturelles et traditionnelles et sa beauté si nous ne le faisons pas. Faites un tour au marché de Covè et vous vous rendrez compte combien c’est beau et riche en couleurs. J’ai lu tellement de romans à travers lesquels on a décrit des villages français ou japonais que je ne suis pas sûr de visiter un jour mais dont j’apprécie la richesse culturelle et la beauté du paysage. C’est ce que j’ai tenté de faire.
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Votre mot de la fin.
La cinquième épouse est un roman qui traite de l’adultère, l’un des épineux problèmes liés à la polygamie. C’est l’histoire de la belle Edwige qui, victime d’un moment de faiblesse, tombe dans les bras de son beau-frère… Finaliste au Grand Prix Littéraire du Benin 2020, La cinquième épouse se vend au prix de 4000 FCFA dans toutes les librairies. Je vous remercie.


Réalisation : Esckil AGBO ©BENINLIVRES, octobre 2021