La guerre des choses dans l’ombre de Gaston Zossou : La vie et la mort au pouvoir de la langue

La guerre des choses dans l’ombre de Gaston Zossou : La vie et la mort au pouvoir de la langue

LA CHRONIQUE. Au Bénin, comme ailleurs sous les cieux africains, la parole est sacrée. Ne dit-on pas souvent qu’il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Ce proverbe vaut tout son pesant d’or dans ce truculent récit raconté dans le roman La guerre des choses dans l’ombre. Son auteur est l’ancien Ministre de la Culture et de la Communication, Gaston ZOSSOU.

Toute parole adressée à une personne âgée, de surcroit à une sorcière doit être mesurée. En tout cas, Joseph LANTA alias Frère Joe, infirmier de son état, par qui la guerre des choses dans l’ombre a été déclenchée, l’a conservé dans ses mémoires. Même dans l’outre-tombe. En effet, la collectivité HINGNISSOU du petit village de Katagon fait partie de ces collectivités attachées aux rites coutumiers pour marquer les funérailles de ses défunts. La conservation des corps à la morgue n’est pas une pratique prisée. Autant dire que cette collectivité n’a jamais laissé séjourner un des corps des siens dans une chambre froide. Mais à la suite du décès de l’oncle NOUGBOZOUNKOU, les membres de la collectivité ont décidé de déposer la dépouille à la morgue, sur un argumentaire bien bâti de Frère Joe. Au jour de l’enterrement, la délégation familiale chargée du retrait du corps dans cette chambre moite découvre l’incroyable. Suite à une erreur administrative, le corps de leur aïeul a été livré à une autre collectivité. Le corps ainsi livré a été inhumé huit jours plus tôt. Désarroi et désespoir.

Des contacts secrets ont été pris avec l’autre collectivité. Le but est d’examiner ensemble les conditions d’une exhumation et d’une permutation des corps. L’autre collectivité oppose un refus catégorique et même violent. Elle soutient avec force que le corps enterré est bien celui de leur parent. Les HINGNISSOU n’ont aucun doute sur l’erreur de livraison, ni sur l’énorme mauvaise foi des interlocuteurs de l’autre collectivité. D’autant que l’oncle défunt n’avait que quatre orteils au pied gauche, suite à un mémorable accident de chasse dont il a été victime dans sa prime jeunesse. Le corps laissé à la morgue en compte cinq à chaque pied.

SAGAIE DE MENACES CONTRE L’ENNEMI

Pour laver les salissures innommables jetées à jamais sur leur nom et sur leur descendance, une réunion de gravité est convoquée. Un commando est constitué et dirigé toujours par Minsodji. Mission : profaner la tombe chez l’autre collectivité et ramener le crâne du défunt pour faire les rites. Une tâche accomplie nuitamment avec témérité. Mais ils ne pourront pas encore sonner l’hallali. Afin de rejoindre Katagon avant le lever du jour, les émissaires ont pris place dans un taxi à la gare routière de la bourgade de Canan.

Mais au moment précis où le chauffeur allait démarrer, une meute enragée se rue sur les véhicules pour une fouille systématique. Les profanateurs de tombe sont dévisagés. Toutefois, ils ont réussi à s’échapper. Malheureusement, lors de la bataille rangée et de la course poursuite, le colis déterré est tombé. Ils viennent de passer sous les fourches caudines. Revenu à la maison, Minsodji a rendu compte de leur échec par des circonvolutions.

Mais la tante Akitigbo veut savoir, en terme clair, si la mission a foiré. Elle a alors couvert les émissaires de la collectivité d’un flot d’injures. Dans la foulée, Frère Joe prend la défense de Minsodji et de ses coéquipiers. Pour lui, l’humiliation serait encore plus grande s’ils avaient été pris en otage. Frère Joe condamne et estime, qu’il y a là un abus inqualifiable ou une idiotie. Un pas imprudent vient d’être franchi. A la sorcière Akitigbo de lui lancer : «Idiote? Moi idiote? Tu ne le rediras pas de tout le restant de ta vie, chien ! Et de toute ta descendance, il ne s’en trouvera pas un seul qui atteindra l’âge où l’on parle à autrui de cette manière puante. Je te le déclare au cœur de cette nuit et au nom de tous les esprits sacrés qui s’y meuvent habituellement. J’ai parlé !». Elle était en proie à une extrême furie.

PERSÉCUTION SANS PITIÉ DU “GROSSIER”

Plus que quiconque, Frère Joe sait que la guerre des choses dans l’ombre est imminente. En réalité, la métaphore de l’auteur «les choses dans l’ombre» désigne simplement les pratiques occultes pour nuire à son ennemi. Cette guerre va alors opposer, durant des années, Frère Joe, d’abord à une partie des membres de sa propre famille. Puisque c’est lui qui a soutenu de conserver le corps de l’oncle à la morgue. Il est accusé d’avoir conspiré contre sa propre famille. Ensuite d’escalade en escalade, cette bataille le mettra aux prises avec toute la confrérie des sorciers. Frère Joe a, illico, demandé une affectation pour d’abord épargner sa famille des agressions physiques et d’éventuel empoisonnement. Mais il demeure confiant pour affronter de loin, lui aussi, l’ennemi dans l’invisible. Dans son nouveau logis, des rituels se succèdent les uns après les autres pour un «blindage» avec des devins de tous poils.

Malgré toutes les protections faites jusque-là, une fièvre de cheval frappe le garçon ainé de Frère Joe. Deux jours plus tôt, ce garçon de 10 ans avait vu un gros chien noir devant la porte du salon. Mais au fond, c’est une fièvre pour détourner le regard de Frère Joe et de sa femme. Pendant qu’ils sont afférés à traiter le fiévreux garçon, un nourrisson du couple passe de vie à trépas. C’est un bébé jumeau. Le temps de l’inhumer et de recevoir les condoléances, le second bébé décède aussi. Deux enfants tués en 24 heures. Désormais tout est clair dans l’esprit de Joseph Lanta. Le monde est dur et plein d’horreurs indicible.

RÉPLIQUE À CHARGE DE REVANCHE

De nouveaux rites s’enchaînent. Des offrandes sont offertes aux dieux, après la consultation d’un devin plus jeune que tous. Il a prédit une riposte au huitième jour. Ce jour-là, la sorcière Akitigbo est décédée au cours d’un accident de circulation avec un pousse-pousse chargé de fagot de perches pointues qui l’ont transpercée. Dès lors, une réunion est convoquée autour des obsèques de la vieille femme. Le sujet principal est oublié au profit de la désignation de l’auteur de la mort de la tante Akitigbo par embrochement. Frère Joe est soupçonné. Deux camps s’affrontent lors du conclave. Ceux qui défendent Frère Joe sont sortis pour aller continuer leur réunion. Les pourfendeurs y sont restés pour discutailler.

Soudain le plafond de la salle de réunion cède d’une extrême violence sur leurs têtes de conspirateurs. Trois morts sur-le-champ et plusieurs blessés. Joseph Lanta va, plus tard, laisser sa peau. Et son enfant survivant, de se perdre en conjectures. Selon quels critères gagne-t-on une guerre? Est-ce au nombre de morts tombés dans l’un ou l’autre camp que la victoire est attribuée? Ou bien la victoire se détermine-t-elle à la quantité de douleur que l’on a pu infliger à l’ennemi? Selon la kyrielle des devins consultés, ce garçon sera un Roi dans les royautés à venir. Ce roman “La guerre des choses dans l’ombre ” de 170 pages comporte 18 épisodes. La préface porte les griffes de Jacques Chevrier. A sa lecture, beaucoup sans nul doute, vont devoir méditer sur ses deux belles paroles de sagesse : «Bonnes sont les dents qui retiennent les langues» ; «L’homme intelligent a de longues oreilles et une courte langue».

Par Justin AMOUSSOU