Troisième invité de notre rubrique Livre Expo, Maboudou Abdou Rahim alias Bravo s’est donné volontiers à notre jeu de questions – réponses sur son 1er recueil de poèmes, Le Chant de vers, paru en mai 2019 aux éditions Savane du Continent.
Entretien
Radio Beninlivres : En quoi la poésie comme genre constitue-t-elle, pour vous, la forme la plus adéquate de la relation que vous établissez entre l’écriture et la société ?
Bravo : Elle est peut-être la forme adéquate mais pas la plus adéquate. Je crois. La poésie, précisément orale est la voix idéale pour décrier, dénoncer les dérives de la société. Le but est de déconstruire les mentalités, de sensibiliser, de rééduquer en partant des leçons des faits que nous observons.
Nous parlons de relation entre écriture et société, puisque votre premier livre, le Chant des vers – un recueil de poèmes s’est axé – nous l’avons remarqué sur les faits de la société béninoise. Présentez à nos internautes l’ouvrage.
Le chant des vers est un recueil de 29 poèmes subdivisé en 05 chapitres pour un total de 120 pages, paru aux Éditions SAVANES DU CONTINENT en mai 2019. La couverture, réalisée par l’artiste peintre et plasticien Paterne DOKOU présente deux enfants : l’un triste et l’autre pleurant. Ceci est le tableau de l’actualité mondiale, africaine et béninoise. Entre autres termes abordés nous avons: violences faites aux femmes (p.26), la débauche (p.33 et p.43), incivisme sur la route (p.36), la dépigmentation (p.39), mariage des enfants (p.45), corruption, fraude, cybercriminalité (p.48), la xénophobie (p.51), l’immigration(p.55) et les guerres, conflits d’un peu partout le monde (p.60, p.64).L’amour est aussi abordé ( chapitre Hymne à l’amour) ainsi que les dérives notées lors des fêtes telles que la pâques, le ramadan (p.94 et p.98).
Vous avez abordé dans le livre des termes fréquents dans les créations littéraires : l’amour, l’incivisme, la corruption, etc. La corruption par exemple est bien présentée dans la célèbre pièce de Jean Pliya, La secrétaire particulière. Quelle est la particularité du développement que vous avez fait de ces sujets ?
Dans l’ensemble le développement fait s’est accentué sur la constatation des faits. Tout part de l’observation. Mais plus loin, l’auteur selon ces sujets a pris position. Et je crois qu’on ne saurait encourager un jeune homme quià toujours l’habitude de rouler à vive allure en circulation ou encore des jeunes qui fument, prennent la chicha etc…. C’est dire qu’il y a quand même une forme subtile de sensibilisation dans ces sujets abordés. C’est aussi ça la mission du Poète.
Et ces jeunes s’intéressent- il vraiment au livre, surtout à la poésie, qualifiée à tort de genre littéraire complexe et inaccessible?
C’est pourquoi j’ai choisi commencé par la poésie orale. S’ils prennent goût – et j’ai foi que ce sera de mise – ils n’auront aucune difficulté à aller vers la poésie elle-même. Le travail à faire est énorme. Peu à peu je vais élever le style, le régistre. Peu à peu ils changeront, déjà que certains m’ont plusieurs fois confessé que c’est grâce à mes poèmes qu’ils ont commencé par aimer non seulement lire mais aussi et surtout la poésie. C’est énorme pour moi. Mais on peut faire plus, on peut aller plus loin, plus haut. Je pense.
Bravo, vous êtes un manipulateur adroit de mots. En lisant votre livre, nous avons constaté que vous avez une facilité dans les jeux de mots – de manière à asseoir dans vos textes des sonorités bien plaisantes. Cependant, ne voyez – vous pas que vous travaillez plus la forme que le fond ?
Partant du principe qu’on ne peut servir le repas à une grande personne dans un plat sale, je me suis permis de prendre autant soin du contenant (et peut-être même plus) que du contenu. J’aurais pu me passer de ses fantaisies mais les jeunes aiment cela. Cela attire et retient plus l’attention. C’est donc à travers cela que je passe mon message. J’écris et j’évolue en fonction des mentalités.
Donc vous vous “foutez” du contenu pourvu que le contenant séduit, attire. Il faut juste réussir à créer le beau. Le poème n’est donc que beauté. N’est- ce pas?
Je ne me fous pas du tout du contenu. J’ai peut-être exagéré en disant que j’aime prendre peut-être plus soin du contenant que du contenu. Mais la réalité est là. C’est le contenu qui donne un sens à l’existence du contenant. Donc ce n’est pas à négliger. Mais le travail autour du contenant, je l’ai dit, n’est que pure fantaisie. Les jeunes aiment les rimes, la musicalité, les belles sonorités, je m’oserai à dire même, les punchs. J’évolue en fonction des réalités et des mentalités. Je vais dans leur monde pour passer mon message. Quitte à ce que peu à peu, ils “grandissent” et changent. Le travail à faire est énorme et requiert tact et patience.
La poésie n’est que beauté. Beauté dans l’image, dans le sens, dans le son, et enfin dans l’émotion.
Votre objectif est la forme : réussir à donner de rythmes, de sonorités à vos poèmes. Ce qui est normal. Mais ce faisant, vous semblez passer à côté du but – celui d’avant – garde que vous constituez, en tant que poète. Qu’en dites – vous ?
Quand j’écris, je me vois parfois comme un cuistot qui lorsqu’il finit son plat doit y mettre autour un peu d’esthétiques, de garnitures pour rendre plus présentable, donc plus agréable et digeste son plat. C’est aussi cela. Le lecteur est roi, il faut prendre soin de ce qu’on lui sert. La priorité est au contenant d’abord car c’est ce qu’il voit en premier. Encore que je rappelle qu’ici, nous sommes dans l’oralité où aucune règle ne me frappe sinon celle de dire pour toucher, corriger, parfaire. Dire mais dire différemment. Dire mais pas comme tout le monde l’aurait dit.
Mais ce n’est pas les garnitures, les effets de bonne présentation – de bon aspect ou de belle couverture qui rendent un plat digeste.
Et pourtant. On digère autant un repas qu’un livre d’abord par les yeux. On voit, on lit la forme avant de goûter au fond. La musicalité est la sauce douce qui permet d’avaler les morceaux de vers dont les vérités sont parfois amères.
Beaucoup de jeunes poètes dont vous publient fréquemment de textes sur les réseaux sociaux, facebook et whasapp, notamment. Quel est le résultat souhaité à travers cet exercice ? Le buzz ou la quête de lecteurs ?
Je ne publie que pour dire quelque chose, passer un message, me prononcer sur tel sujet ou événement. Rien de plus. On m’a appris que l’oiseau chantant ne se soucie point de qui l’écoute ou pas. Il chante tout simplement. C’est sa mission.
Mais l’oiseau se soucie bien de qui écoute ses chansons et c’est parce qu’il a toujours de bons retours qu’il continue de chanter jusqu’à aujourd’hui. Nous pensons que c’est aussi votre cas. N’est- ce pas?
Je parle ici des découragements, railleries et autres propos empêchant l’accomplissement d’un but, d’une mission. A priori, l’oiseau chante sans soucier de qui l’écoute ou pas. Maintenant s’il a des retours constructifs, tant mieux. Si non, rien ne l’empêchera de toujours chanter. C’est sa mission. C’est pareil pour l’écrivain.
Que dites – vous à ceux qui pensent que la poésie n’est pas faite pour être forcément lue par des millions de personnes ?
C’est déjà bien qu’une partie lise. Même si des millions ne lisent pas ce n’est pas encore grave. Le peu qui lira sera nos bouches auprès des autres. On ne peut pas toucher le tout du peu d’une chose, on peut par contre toucher le peu du tout d’une chose. Si dans ces millions de personnes on peut avoir mille qui lisent, cela va largement.
Réalisation : Esckil AGBO/ / ©Beninlivres, août 2019