[L’Editorial] : L’Afrique souffre toujours dans les livres de ses Ecrivains

[L’Editorial] :  L’Afrique souffre toujours dans les livres de ses Ecrivains

L’Afrique, un continent  déchiré. Une partie du monde où  pauvreté, souffrance, violence et autres maux dictent leur loi. Une Afrique malade. C’est ce qu’on découvre quand on  tombe sur des ouvrages d’auteurs africains, vivant en Afrique ou non. Certes, pas tous. Mais la majorité. Avec regret, je constate que l’Afrique souffre toujours dans les livres de ses Ecrivains.  

Le chercheur français Raphaël Thierry, docteur en littératures comparées de l’Université de Lorraine et de Yaoundé I, dans l’une de ses interventions dans le Journal Le Monde  rappelle qu’en 1961, « la conférence des Etats d’Afrique pour le développement de l’éducation a identifié les besoins en livres des différents pays : le constat général était qu’il n’y avait pas assez de producteurs de livres en Afrique et qu’il était donc nécessaire de faire venir des livres étrangers pour satisfaire les besoins en éducation du continent ».  Des livres étrangers pour satisfaire les besoins en éducation  des Africains. Le résultat, vous le savez !

Les  bons samaritains ont immergé les filles et fils d’Afrique noir dans des ouvrages remplis de clichés sur le plus vieux continent.  Une Afrique en pleurs,  une Afrique sauvage, une Afrique barbare, une Afrique pauvre, une Afrique sans histoire, une Afrique sans civilisation, histoire d’Afrique tronquée. Voilà autant  de choses  qu’on a ingurgitées  à l’enfant d’Afrique,  à  travers les livres.  

Aujourd’hui, plus de « famine du livre » dans le continent. Le livre s’édite aussi en Afrique. Et bien d’ailleurs. Mais l’Afrique continue de souffrir dans les créations littéraires de ses auteurs.

J’ai lu  dans la nuit du lundi 17 août 2020 une interview du jeune auteur Aryl Raphael Fèliho qui venait de publier chez Savanes du continent à Cotonou son premier roman titré Les enfants du lac maudit. L’entretien, est réalisé par  Chédrack Dégbé.  Voici un extrait :  

Litterature-e-kulture: Le frère cadet Isaac, un miraculé de l’émigration clandestine connût le succès après moult expériences, de la traversée de la Méditerranée, jonchées des pires moments de sa vie. Sériez-vous peut-être en train d’encourager les jeunes Africains à se livrer aux énormes risques de l’aventure qui selon votre roman peut quand-même conduire à la fortune ?

Aryl Raphael Fèliho : Mon intention est de décrire les risques auxquels sont exposés les candidats à la traversée du Sahara et de la Méditerranée afin de dissiper dans l’esprit de mes frères africains, l’illusion qu’ils se font de l’Occident. Les spoliations, les tortures, les drames qui constituent le champ lexical de cette aventure caricaturable à un labyrinthe sont autant de sujets abordés dans le roman. De plus, Il y est clairement démontré que la réussite en Occident en plus d’être incertaine est réservée à un nombre infime de personnes et qu’on ne peut avoir un toit sécurisé que chez soi.

https://litterature-e-kulture.blogspot.com, consulté le lundi 17 août 2020 à 22h33

Après lecture de cette partie de l’interview, je me suis dit que l’Afrique souffre toujours dans ses livres. Car, toute analyse faite de la question de Chédrack Dégbé, on se rend compte que, d’une manière ou d’une autre le jeune auteur  fait la promotion de l’immigration clandestine. Et ainsi, il expose une Afrique qu’il faut quitter si  on veut  s’offrir une belle vie. Même s’il tente de rejeter cette dernière thèse, il faut oser indiquer que c’est ce qui se dessine tout de même, de sa création que je respecte. Du moment où  il présente un  personnage qui, nonobstant tout ce qu’il a vécu en allant clandestinement en Europe – a pu obtenir gain de cause, a pu mettre la main sur l’eldorado qu’il souhaitait.

La création littéraire contemporaine a une mission. Celle de montrer l’Afrique la belle. Une Afrique riche et fière d’elle-même. Une Afrique aux milles histoires fascinantes, merveilleuses et fantastiques. Une Afrique autre que celle que nos maîtres d’hier nous montraient.  Une Afrique pour construire l’Africain.  Cette création doit accorder une place au patrimoine oral qui est une réserve intarissable, à l’histoire, à la culture et  aux arts.

C’est ce à quoi j’invite les auteurs, producteurs et éditeurs africains tout en proposant aux uns et aux autres de se procurer du roman Les enfants du lac maudit. Un style particulier s’y cache.

Par Esckil AGBO, ©BENINLIVRES, août 2020