Mesdames et messieurs, internautes de radio Beninlivres, recevez nos respectueuses salutations. Nous recevons, ce dimanche 13 juillet 2019, pour le compte du 1er numéro de notre rubrique Livre Expo l’écrivaine béninoise Micheline Adjovi. Sur notre tribune, donc, elle expose Vodou, la Forteresse d’espérance, son dernier roman, paru chez DAGAN Editions et lancé le samedi 13 juillet 2019 à travers une cérémonie, tenue sur l’esplanade du Temple des pythons à Ouidah.
Entretien
Radio Beninlivres : Bonjour Madame. Veuillez-vous présenter aux internautes de Beninlivres.
Micheline Adjovi : Avant de me consacrer à l’exercice de présentation, permettez-moi de saluer d’abord mes amis lecteurs de Beninlivres. En Afrique, lorsqu’un étranger rentre dans une maison, la première règle qu’il observe a rapport aux civilités. Je salue, avec respect et humilité, tous les internautes de Beninlivres.
Je suis Micheline ADJOVI. Juriste de formation. J’ai aussi un diplôme d’études supérieures spécialisées en gestion de projets et développement local de l’Université d’Abomey Calavi. Mais fondamentalement, je suis mère au foyer. Je ne terminerai pas cette présentation sans vous remercier, Monsieur Agbo, pour l’initiative de cette interview autour de mon tout nouveau-né.
Justement, notre entretien s’articule autour de votre tout dernier roman Vodou, la Forteresse d’Espérance paru aux Editions DAGAN. Avant d’entrer dans l’histoire, veuillez nous expliquer sa couverture. On y voit une jeune fille, dans les attributs d’une divinité, soulevant un flambeau avec la main droite et tenant un tableau dans l’autre main, sur lequel on lit le signe de Fâ, Gbé- Médji encore appelé Djogbé. Quelle interprétation faites-vous de la couverture ?
C’est l’image de mon héroïne. Elle a nom, Doudédji. Littéralement Victoire ou Triomphe. Comme vous le constatez, elle exhibe fièrement, à la face du monde, le flambeau de la continuité historique de ses puissants aïeux. Dans sa gauche se trouve la tablette du système Ifâ avec l’idéogramme Djogbé, signe qui avait confirmé le choix porté sur sa personne pour succéder à sa grand-mère paternelle sur le siège de NangboKòhinto.
A la page 124 de l’ouvrage, vous avez d’ailleurs exposé ce signe de Fâ. Votre ouvrage aborde la nature de l’Homme noir. Vous avez tenu un discours à la fois historique, anthropologique et philosophique pour mettre l’Africain devant ses responsabilités. Sans langue de bois, vous avez dit ce que doivent être l’Afrique et l’Africain. Tout ceci à travers la belle histoire de Doudédji. D’où tenez-vous ce récit ? Comment en êtes-vous venue à créer un éloquent récit que nous trouvons d’ailleurs initiatique ?
C’est gratifiant pour un auteur de recevoir de telles laudes. Et lorsqu’elles viennent d’un promoteur de livres, elles se portent comme une précieuse parure. Merci. Vous savez, le rayonnement d’une communauté dépend de la qualité de ses hommes et de ses femmes qui prennent le relais. En ces temps-ci où certains modèles de civilisation montrent pour le moins des signes d’essoufflement, nous Africains avons le devoir, voire l’obligation de jouer notre rôle dans l’histoire de l’humanité quoi que cela peut et va nous coûter. Je pense sérieusement que l’Afrique a une grande histoire et un grand avenir. Mais cet avenir prometteur ne peut advenir que lorsque l’Africain ose entrer dans sa propre vérité.
C’est-à-dire lorsqu’il accepte de bonne foi d’assumer sa culture et sa spiritualité originelle. Pour l’heure, il y a une déconnexion, un gouffre presque abyssal. La plupart des cadres en charge de la gestion des intérêts de nos pays ont le regard tourné ailleurs. Leurs références sont plus à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Or aucun pays ne peut véritablement évoluer en rejetant son identité. La seule et unique voie qui mène au développement et à la souveraineté de l’Afrique passe par le chemin de sa propre civilisation. Le progrès appelle la construction du présent avec le matériel rénové du passé en ayant une meilleure vision du futur. Ce sont ces réflexions qui m’ont amené à créer le récit de l’histoire de Doudédji. Humblement, je pense qu’il est temps de rompre avec l’hypocrisie pour assumer pleinement notre héritage.
Etudiante, donc, jeune fille « civilisée », Doudédji a tenté de s’opposer à son destin. Celui de succéder à sa grand – mère, au trône de la Prêtresse du Vodou Kô. Mais après de longs échanges avec la défunte, elle changea de position et s’est montré ouverte aux enseignements du couvent. Vous êtes, de pleins pieds dans la sociologie africaine. Comment expliquez-vous cela ? Comment est-il possible, la discussion entre un vivant et une personne qui n’est plus de ce monde ? Ne s’agit-il pas d’hallucinations ?
Etre civilisé n’est pas synonyme d’aller à l’école qui en réalité s’acharne plus à nuire à la conscience historique de ses apprenants africains que la renforcer. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en Afrique, les morts ne sont pas morts. Nos coutumes leur font sans cesse recours comme eux-aussi peuvent spontanément se manifester, en cas de nécessité, en se réincarnant.
Après plusieurs mois au couvent pour sa formation initiatique, ses enseignements au sujet de la vie, de l’Homme et de la société, Doudédji a repris ses études à l’université jusqu’à les terminer avec succès. Fiancée à Deen Taïrou, un musulman de souche, avant même son entrée au couvent vodou, elle s’est mariée à celui-ci. Un musulman qui épouse une Prêtresse vodou. Cela ne peut qu’être possible que dans un livre qui porte le nom de Micheline Adjovi. N’est-ce pas ?
Rire. L’amour ne tient pas compte des barrières créées et entretenues par les hommes. Que Deen Taïrou, de confession musulmane et Doudédji, Prêtresse Vodou se marient, n’a rien d’insolite. C’est d’où ils ont quitté, leur complicité et le chemin parcouru ensemble qu’il faut voir et apprécier. Ils s’aiment. Par expérience, j’ai appris que l’amour transcende tout.
Lorsque nous avons achevé la lecture du roman, nous nous sommes rendu compte qu’il est comparable à un dictionnaire de citations sur l’Homme noir, la vie et la société. Où avez-vous trouvé cette pléthore de belles citations ?
En Afrique, nos parents aiment parler en parabole. Ils ont de longs chapelets de proverbes, d’adages, de vers et de citations qu’ils égrènent avec art en des occasions et situations précises. J’ai puisé dans ce riche réservoir de sagesse pour agrémenter mon récit. Ce patrimoine est disponible et accessible à tous. Il suffit de chercher pour trouver.
Micheline Adjovi, dites-nous votre plus grand vœu pour cet ouvrage que Beninlivres recommande, d’ailleurs à ses internautes, à tous ceux qui lisent cet entretien !
Mon ultime vœu est de voir l’Africain, enfin, s’intéresser ouvertement et sans hypocrisie à la connaissance. La vraie. Celle de son identité culturelle pour sa négritude assumée. C’est la décolonisation mentale.
Réalisation : Esckil AGBO/ / ©Beninlivres, juillet 2019