Le Cœur des yeux, deuxième livre de Olabi Fabrice Tossa, paru aux éditions Beninlivres à Porto – Novo est officiellement présenté au public le samedi 18 mars 2023. La cérémonie organisée à cet effet, a eu pour cadre la Bibliothèque Bénin excellence d’Abomey – Calavi. Nous vous proposons l’analyse faite de l’ouvrage par Esaïe Corneille Anoumon, étudiant en mathématiques et présentateur du livre lors du lancement.
Il me plait de vous poser ces questions en prélude : qu’est ce qui fait l’existence ? Qu’est ce qui doit définir notre existence ? En attendant d’y répondre, permettez-moi de vous saluer et de remercier l’auteur, Fabrice O Tossa qui nous a réunis au nom des mots, de l’amour, de l’art et de la poésie. Comme vous le savez, chers amis, la poésie appartient au cercle fermé des traîtres qui évoquent, suggèrent et suscitent les sensations, les impressions comme les perceptions, les émotions les plus sémillantes par l’union intense des substances sonores, des matières phonétiques ; la concorde pétulante des rythmes et des cadences qui s’accordent ; les combinaisons parlantes et plaisantes des harmonies et des sens en particulier des vers et des proses. La poésie est de ces genres qui font surgir des vouloirs, des sentiments, qui bouleversent et impriment dans notre âme et cœur la nature humaine sans notre assentiment. Elle est partie intégrante des mécanismes invisibles qui font corps avec l’essence et expliquent, sans prétention de convaincre, pourquoi nous vivons. Elle nous rend complice de ses actes, suscite notre empathie pour la vie et l’homme. Vu sous ce rapport, tous ceux qui se hasardent à embrasser ce genre sont des traitres. Par voie de conséquence, Fabrice Olabi TOSSA est un traître et un complice de la poésie. Il est responsable de l’imprudence de mes affections pour l’être et des émeutes très rares de mon corps, de mes yeux, de mon cœur et de ma dépouille. Tout homme est un cadavre vivant.
Tous les poètes s’assignent des rôles biens définis. Chacun d’eux puise dans sa source. Olabi a puisé dans la sienne pour nous concocter, un bon plat à l’africaine. Tous les ingrédients sont dans ce plat en commençant par le fondamental de l’existence et ses maux : l’amour ; orné du pourquoi l’homme continue d’être : la femme, mère humanitaire ; enroulé et garni de ce qui fait et définit chaque Homme : la culture identitaire puis le tout couronné par la source et l’essence de l’existence : l’amour suprême, le Gbɛɖotɔ.
Olabi Tossa, auteur du livre Le cœur des yeux nous dévoile son intimité sous plusieurs angles. Ne lui demandons pas pourquoi? Tout est art et l’art n’a pas d’intimité sinon il n’a que de nudité qu’il laisse promener au gré du vent, voguer sur le lac comme bon lui semble à la nuit étoilée et briller sous le soleil. L’art n’a donc pas de limites que la géographie et les mathématiques connaissent. Si aujourd’hui, quelqu’un demande au poète pourquoi le titre de son livre ou qu’est ce qui le lui a inspiré ? Qu’il ne soit pas surpris de n’avoir pas de réponses. Le poète est affranchi. Voyons comme lui dans le jour ou dans la nuit. Suivons alors sa cadence et mettons-nous en conséquence à son point de vue, et voyons.
Le poète, dès les premières lignes du chapitre premier Le cœur des yeux sort de son silence, fait une promesse à son amour, sa confidente ; lui montre l’importance de sa présence quotidienne, la béatitude qu’est d’avoir un amour qui sait rayonner et garder sa moitié. Il va très loin en lui montrant la sincérité de ses sentiments et de son amour pour elle.
« J’avais épousé la solitude
Car elle avait façonné mes habitudes.
Tu as mis fin à toutes ces douleurs
Tu m’as communiqué le bonheur.
Pour ton amour, je te promets réciprocité. » page13-14.
« Un jour passé loin de toi
Me prive parfois de la joie
Et me distrait dans le désespoir.
Je remarque la puissance de l’amour
Qui, depuis longtemps nous fait jouer sur les velours.
Tu sais me remonter le moral avec ta belle voix.
Enfin tu es ma joie. » page 19-22.
Il nous oblige par suite à continuer l’aventure avec lui. Il nous fait promener dans les errances de son amour, de son cœur où il nous fait subir de fortes émotions parfois lentes mais violentes en fin de compte ; où il nous apprend combien il est un bien utilitaire de communiquer ; de lâcher prise, de demander pardon ou de s’excuser dans une relation, de se réconcilier quand il faut, d’entretenir une vie amoureuse. Il nous rappelle que le piédestal d’une relation n’est pas de chanter à son prochain matin, midi et soir ‘‘je t’aime.’’ Mais de le lui montrer de par nos actes ; qu’une relation amoureuse c’est aussi arriver à la convergence des idées quoique les différences acharnées jouent leurs partitions ; c’est aussi l’implication de l’un dans les projets de l’autre ; c’est aussi être le cœur de l’autre et ses yeux quand il n’est pas là pour s’occuper de ses affaires.
« Je suis désolé pour tous ces mensonges
Dans lesquels, je t’avais plongé.
Je suis désolé pour le manque d’amour,
Le manque d’humour.
Je ne t’aime plus mais tu vis encore en moi,
Implique-moi aussi dans tes projets,
Car l’union de nos énergies pourrait être source d’un succès
Sachant entretenir ce qui nous réunit
Parce qu’il est le véritable carburant de notre humanité.
Je souhaite que nos mains se caressent dans le même plat. » page 38-58.
Sur son errance d’amour, le poète nous fait côtoyer la mort, la solitude, le deuil et surtout nous convie au silence quand il fait nuit le jour dans nos vies ; nous invite à être des épaules pour la femme, l’enfant démuni, les handicapés ; il nous demande d’oser aimer et de ne pas oublier Dieu dans nos moments heureux comme de solitude, de deuil et de ne compter que sur lui puis de faire preuve d’une endurance pour marquer des virgules et un point aux tempêtes et ouragans.
« Il y a de ces jours où notre plus belle réponse est le silence.
Naitre handicapé n’est pas un choix,
Le devenir est une croix.
Déjà une dizaine d’années que nous sommes en errance,
Car malgré tout, elle reste toujours insupportable ton absence.
Ne joue plus simplement à ta tête
Communie en silence avec Dieu qui assure ta quête. »
Il n’a pas manqué de nous rappeler comme le grand classique André Chénier dans l’un de ses sonnets que :
« Tout homme a ses douleurs. Mais aux yeux de ses frères
Chacun d’un front serein déguise ses misères.
Chacun ne plaint que soi. Chacun dans son ennui
Envie un autre humain qui se plaint comme lui.
Nul des autres mortels ne mesure les peines,
Qu’ils savent tous cacher comme il cache les siennes ;
Et chacun, l’œil en pleurs, en son cœur douloureux
Se dit : ‘‘ Excepté moi, tout le monde est heureux.’’ »
Fabrice Olabi Tossa a beau être déçu ; aimer et louer la bravoure de la femme, il est épris des faits sociaux. Sa plume s’interroge sur le pourquoi du chômage, le sort de chaque individu et nous demander d’avoir confiance en nous, de nous relever, d’être heureux et reconnaissant tant que nous avons la santé.
« On ignore totalement tes sacrifices
Mais on souhaite toujours te voir sur le crucifix.
Tu sais quoi belle âme ! Nous sommes des ingrats
Qui ignorent qu’ailleurs, il n’existe aucun éclat.
Pour t’en convaincre, rends-toi à l’hôpital,
Tu comprendras que ta parfaite santé est suffisante et capital.
Belle âme, sois en permanente reconnaissance pour ta vie
Quelle que soient les caractéristiques que tu lui en donnes par envie. »
Par ailleurs, Olabi nous pare de sa résonance identitaire, ce qui fait qu’il est, qui constitue sa nature et fait que l’homme demeure comme le soleil éternel. Oui, Olabi nous parle de sa culture, nous appelle avec ses frères des collines à être UN avec lui, comme ces hommes qui dans les mosquées et plaines prient, chantent en choeur en semant des graines de vies.
<< ” Viens esquisser tes pas aux sons du
Kpómdòró
Agbadjà
Tóbà
Goumbé
Bòlou.
Venez déguster la saveur de notre
Shòmbô
Ikarà èwà
Ikarà èkpá
Òlèlè
Puis notre unique et éternelle boisson Shàkpáró.” >>
Au demeurant, Le cœur des yeux est un miroir pour les jeunes amoureux qui veulent construire un foyer, pour l’étudiant et l’être désespérés, pour celui qui croit que la chance n’est pas sa compagnonne et que le Sègbo-Lissa l’a classé dans les méandres de l’oubli. Avec ce recueil, Olabi nous reconnecte aux mystères, aux joies, aux bonheurs, aux malheurs de l’amour surtout aux couleurs de l’amour et de la vie dédaignés par la jeunesse actuelle.
Impressions personnelle
Le cœur des yeux est un manifeste apolitique et sentimental. L’auteur sacrifie l’objet traditionnel de la poésie des temps révolus. Il reste lui-même et fait parler son cœur dans une simplicité légendaire. C’est à son mérite d’être lu et compris. Il casse les codes et cordes généraux de la prose que l’on nous fait croire hermétiques, obscurs, alambiquées et compris que par certains initiés. Il certifie les propos du Mgr Aristide GONSALLO qui dans une interview qu’il a accordée au blog biscottes littéraires disait que la poésie est « l’expression de l’élan du cœur. Le poète renvoie à la société sa propre image pour corriger les mœurs. Qu’être poète, ce n’est pas rechercher les mots rares et ronflants pour les placarder au tableau des analphabètes béats et inutilement admiratifs. La poésie, c’est du sérieux ! »[1] Et au poète Jacques Prévert de dire que « la poésie ; c’est le plus joli surnom que l’on donne à la vie… »
Dans un langage simple et accessible, il nous apprend sur le sens de l’abnégation et de la responsabilité dans la vie. Il nous secoue les sens en nous invitant à la table de la détermination pour l’atteinte de nos objectifs, en nous demandant de mettre Dieu au centre de nos réalités quotidiennes. Comme Fontaine dans “le laboureur et ses enfants”, Olabi nous prévient que ” le travail est un trésor” et nous demande de ” travailler sans relâche, que c’est le foin qui manque le moins.” C’est là aussi la mission du poète, inciter à la vraie tâche qui nous incombe pour notre développement personnel. L’auteur du livre Le cœur des yeux a le mérite d’avoir commis, un livre compréhensible pour toutes les couches de la vie. Il a accompli sa mission en laissant sa vision sur les réalités vaciller dans nos cœurs. Ne pas lire Le cœur des yeux, c’est refuser de prendre d’élan en amour, d’aimer la vie et soi-même. Alors, prends, lis, fais de lui ton amant. Tu y découvriras les réponses aux questions que nous nous sommes posées au début de cette présentation : qu’est ce qui fait l’existence ? Qu’est ce qui doit définir notre existence ?
Par Esaïe corneille ANOUMON Gbɛkpoɖonukɔn
[1] Source