LA CHRONIQUE. A travers RESTE AVEC MOI , Ayòbami Adébáyò nous amène à la découverte du couple Akin et Yèjidé Ajahi, quatre ans après leur mariage, en proie à un problème sociétal très intriguant.
En Afrique quand un couple n’arrive pas à concevoir les regards méchants vont, de suite, sur un bouc émissaire: la femme. Des rumeurs circulent et des questionnements fuissent sur les éventualités qui auraient pu causer cette stérilité, des avortements par le passé peut être ? Ici pas de soucis, Yèjidé s’était mariée vierge et n’avait connu jusque-là qu’un seul homme, son mari Akin. D’ailleurs elle était apte à concevoir.
Alors on découvre un monde géré avec plus de discrétion en Afrique : la stérilité masculine. En effet, Akin, le mari de Yèjidé est atteint d’une dysérection sévère, il n’a jamais eu d’érection de toute sa vie, il avait réussi tout de même pendant quatre ans de vie conjugale, à convaincre sa femme, l’ignare, que tout était normal. Conscient de son incapacité à procréer, il garde le silence à propos pendant que sa mère et d’autres personnes torturent psychologiquement son épouse. La pauvre Yèjidé, pensant être la coupable faisait, accompagnée de sa belle-mère, Moomi, le tour des tradipraticiens et pasteurs de tout le pays sans succès. Elle fera même une grossesse nerveuse qui la fera passer pour une folle.
Il vint donc à belle-mère désespérée, l’idée de faire prendre une deuxième épouse à son fils pour enfin nourrir son rêve de voir la progéniture d’Akin. Fèmi la nouvelle femme découvrira le pot aux roses qui finira par lui coûter la vie. Akin, entre-temps eut une idée empreinte de malignité qui fera éprouver pour la première fois la”jouissance sexuelle” à sa femme et lui fera avoir des enfants. Le premier, une fille, Olamidé meurt au bout de cinq mois subitement dans son sommeil, le second aussi mourra de manière mystérieuse quelques mois après son entrée à la maternelle. Belle-mère parlera de Abikun, ces enfants qui avaient promis aux esprits de mourir tôt. En réalité ces enfants étaient atteints de drépanocytose. Le père des bébés qui n’est évidemment pas Akin mais Dotun que vous découvrez pendant votre lecture, était incompatible avec Yèjidé.
L’auteur nous fait ainsi entrer dans un autre monde, plus éprouvant que celui de l’impuissance, fait de crises répétées, d’anémies, de douleurs musculaires, mais surtout de tristesse pour des parents victimes, soit de leur ignorance ou de leur insouciance, qui voient leurs enfants se tordre de douleurs, souffrir et mourir sans pouvoir intervenir même s’ils sont riches pour s’offrir les meilleurs soins qui ne sont malheureusement que des calmants . Tout ceci, avec dans un coin de la tête, la culpabilité de leur avoir transmis un gène S ou C faisant d’eux des enfants à génotypes SS ou SC. Le troisième enfant, Rotimi (reste avec moi en yoruba), atteinte de la même maladie fera une crise que sa mère prendra pour la dernière qui la fera fuir très loin pour ne pas voir le troisième fruit de ses entrailles passer de vie à trépas. Elle entreprend une nouvelle vie où elle passera plusieurs années jusqu’à ce qu’elle reçoive une invitation de son ex-mari qui la ramènerait vers son passé. Elle découvrira que Rotimi qui avait survécu était maintenant une splendide jeune fille. La vie lui offrait une nouvelle chance de vivre, un bonheur dont elle a toujours rêvé.
Dans Reste avec moi le récit est enchâssé, la narration intercalée est faite alternativement par Akin et sa femme retraçant des détails sur chacune des vies des deux personnages, de l’enfance à leur vie conjugale en passant par l’université, leur rencontre, etc. A la lecture de cette œuvre, il est aisé de dire que la littérature féminine africaine se porte bien.
Ayòbami Adébáyò est une journaliste et romancière nigériane, née en 1988 à Lagos au Nigéria, titulaire d’une maitrise en littérature anglaise, elle fera des études approfondies à l’université East d’Anglia en Angleterre. Elle fit son entrée dans le monde littéraire grâce à ce premier roman Stay With Me, traduit en 2019 par Josette Chicheportiche rendu par Reste avec moi. Ce livre a remporté le prix Les Afriques 2020.
Par Kafui Persis GUIVI