Dans nos lectures, il nous arrive de rencontrer des héros de roman qui influencent d’une manière ou d’une autre notre opinion de la vie. Trop parfaits, trop naïfs ou pour plusieurs autres motifs, ils nous mettent facilement en boule ou nous impressionnent. Yèdjidé est l’un de ces personnages, particuliers, atypiques. Elle est l’héroïne du roman Reste avec moi de la Nigériane Ayobami Adébayo, Prix Les Afriques 2020. Décryptage.
Instruite, diplômée d’université, Yèdjidé est une jeune dame très belle, elle est « d’une élégance naturelle ». Sa beauté est d’une lucidité authentique. Avec Akin Ajayi, un jeune homme qu’elle a rencontré sur le campus, elle connut une histoire d’amour presque parfaite. Les deux formèrent l’un des merveilleux couples dans le Nigéria des années 80. Sauf qu’après quatre ans de mariage, Yèdjidé attend toujours sa première grossesse. Notre héroïne se lança, du coup, dans une ‘’chasse à l’enfant’’, nourrie par le devoir d’offrir à sa belle famille l’héritier de leur fils aîné.
Pour elle, tomber enceinte devint l’urgence, devenir mère pour honorer son époux, pour lui éviter les quolibets, les plaisanteries méchantes.
Son histoire parait pathétique. Quand on passe en revue tout ce qu’elle a subi et vécu, on peut lui laisser quelques gouttes de larmes. Et cela, c’est quand on a un cœur. Sinon, on lui poserait une question pour vérifier si entre – temps elle n’avait pas été naïve.
”Comment as – tu fait pour ne pas savoir que tu vivais avec un homme impuissant ?” Toi, grande intellectuelle, toi, femme civilisée. Chers lecteurs, comment cela est – il possible ? Quatre ans de mariage et elle ignore que le phallus de son homme ne fonctionnait pas. Comment cela est – il possible ?
« Moi, je pense que c’est juste de la fiction pour passer un message », confie Guy Amayidi, Professeur de Lettres et Poète. Lui qui a lu Reste avec moi estime donc que cela n’est point possible. Christophe Amoussou connu sous le nom de Chrys Amègan, abondant dans le même sens que son aîné dans le métier d’enseignant trouve qu’Ayobami Adébayo est dans le surréalisme. Ainsi, à l’en croire, la situation de Yèdjidé échappe au contrôle logique.
Mais c’est bien possible, va leur répliquer Anick Nonohou, Sage – femme d’Etat et Juriste. Celle – ci explique qu’avec le progrès scientifique, les femmes peuvent passer des années avec des hommes impuissants sans s’en rendre compte. La spécialiste des questions obstétricales, pour soutenir son avis évoque les verges artificielles qui sont de plus en plus présentes dans les couples. « Chez moi dans la vallée de l’Ouémé, au Bénin, et dans certaines de nos sociétés africaines, il est formellement interdit de faire l’amour dans la journée. Mais dans la nuit, sans la lumière. Les femmes n’ont pas le droit de voir la nudité de leur mari », vient renchérir le Professeur Adrien Huannou pour appuyer les explications de la Sage – femme. Ce fait est donc envisageable et nos sociétés qu’elles soient traditionnelle ou moderne sont perméables à cela, conclut l’Inspecteur Eugène Gbédédji.
Je voudrais préciser que nous avons recueilli toutes ces interventions au lancement de la saison 2 des cafés de la CENE littéraire au Bénin. C’était le samedi 12 juin 2021 à la librairie LBU de Cotonou.
Et pour vous autres qui n’étaient pas à ce rendez-vous, cette situation est – elle possible ?
Dans l’un ou l’autre cas, nous pensons que la jeune romancière a réussi à poser le débat. Il est dans le personnage de Yèdjidé. C’est d’ailleurs l’un des angles qui imprime à cet ouvrage un aspect bouleversant. L’auteur pose un problème à la fois psychologique et sociologique.
C’est un roman qui bouleverse, qui intrigue mais qui nourrit aussi. Sur le lecteur, il produit des effets qui traversent son âme. S’il est vrai qu’une œuvre littéraire relève de la fiction, il est tout aussi vérifié qu’elle est le résultat d’une situation vécue ou vue. Alors j’en suis venu à me demander ce que Ayobami Adébayo a vécu ou vu pour en arriver à produire un roman si vrai et si excitant.
Par Esckil AGBO© BENINLIVRES, juin 2021