Rodrigue Gounda : De la grammaire de Un piège sans fin pour rendre hommage à Olympe Bhêly Quenum

Rodrigue Gounda   : De la grammaire de Un piège sans fin pour rendre hommage à Olympe Bhêly Quenum
Adélé Rodrigue Gouda

Pour  son texte – hommage à Olympe Bhêly Quenum, dans le cadre des 60 ans du roman Un piège sans fin,  Adélé Rodrigue Gounda, jeune Enseignant de lettres nous propose une étude particulière du style du Patriarche. « Je suis un passionné du style de Olympe Bhêly Quenum »,  lance à radio Beninlivres le jeune professeur.

Texte

De la concordance dans la discorde dans Un Piège sans fin

Au-delà du commun souvenir des lecteurs des mésaventures du narrateur intra-homodiégétique  du roman Un Piège sans fin, je garde le souvenir de ma prise de conscience de la notion de concordance des temps dans le langage soutenu. Au cœur donc de la discorde d’Ahouna d’avec la sérénité et le bonheur, j’ai appris l’élégance de la concordance des temps verbaux par l’emploi du subjonctif imparfait ou plus-que-parfait devenus rares dans le langage d’aujourd’hui.

A la discorde d’Ahouna d’avec son épouse en effet, s’oppose la parfaite concordance grammaticale du temps dont les règles sont bien illustrées par les constructions syntaxiques.

Si l’absence de rigueur et, la facilité d’expression caractéristiques des productions écrites d’aujourd’hui vous a déjà écarté de l’art de la concordance des temps dans le récit littéraire surtout en liaison avec le subjonctif, il n’est que de lire ou relire Un Piège sans fin d’Olympe Bhêly-Quenum pour vous en instruire.

Dans certaines phrases complexes du récit, le lecteur entre en contact avec des faits syntaxiques dont les répétitions se révèlent d’une portée didactique.  Les éventualités et irréels par exemple, le narrateur les expriment par l’emploi du subjonctif plus-que-parfait : « Il eût été un fort bel homme si sa tête ne ressemblait à celle d’un sanglier[1]». Au-delà de l’euphémisme de cette comparaison ironique, l’attention du lecteur dans la suite du récit est tôt attirée sur l’usage récurrent de la concordance des temps par l’emploi du subjonctif imparfait et du plus-que-parfait : « cette aversion m’amenait à regretter que mon père et ma mère n’eussent pas eu d’autres enfants, ou que mon père ne fût pas polygame»[1] .

Le temps des verbes dans les phrases est décalé par rapport au moment de l’énonciation. Ce décalage dans la deuxième phrase est exprimé dans la proposition principale par l’usage de l’imparfait de l’indicatif. Ce qui décale du coup les regrets du narrateur exprimés dans les subordonnées. La concordance classique des temps verbaux[2] impose le passage de l’imparfait dans la principale pour le subjonctif imparfait ou plus-que-parfait dans la subordonnée: 

« Ma mère s’ingénia à enlever les uns après les autres, bien que j’en eusse été sérieusement débarrassé par la mère et la sœur de Bossou, les piquants de nopal et de ronce restés dans ma peau… »[3].

L’usage itératif de cette règle permet de la vérifier dans d’autres constructions comme dans la description des chants d’oiseaux : « des coqs répondaient à l’appel… comme si les membres de ce concert eussent été conscients de l’évènement du jour naissant »[4] ou – toujours à propos des oiseaux- la supposition de la disparition des poules : « n’eussent été trois poules et deux coqs qui erraient encore d’un air triste, tout était fini dans ce domaine »[5] ou encore l’opposition exprimée par le passage du plus-que-parfait dans la principale pour le subjonctif passé dans la subordonnée :  « Le devin, bien qu’ils ne sût auparavant rien de ce qui se passait dans notre maison, nous apprit que la maladie du charbon était entrée chez nous ».[6]

Quelle belle façon,  celle de l’auteur d’écarter toute possibilité de pluie dans la saison sèche quand il enchaîne une suite de verbes au subjonctif : « D’ailleurs, nous étions dans la grande saison sèche, et il eût été assez surprenant qu’un orage se fût préparé de la sorte et crevât soudain »[7].

Quand le verbe de la principale est au présent, dit Collection Plus-que-parfait,  la conjugaison de celui de la subordonnée est au subjonctif présent. Aussi écrit le narrateur : «  je crois d’autant plus à votre divination que vous ignoriez pourquoi je vous avais amené ici »[8].

La concordance des temps classiques verbaux, ce n’est pas que le recours au subjonctif dans la subordonnée. Quand la principale est un temps du passé de l’indicatif ou au conditionnel, la subordonnée à l’indicatif est à l’imparfait ou au plus-que-parfait de l’indicatif[9].  Le lecteur en apprend long à partir de certaines phrases du roman : « et il y aurait davantage de dégâts, si nous nous ne nous dépêchions d’éloigner cette maladie terrible »[1]. Le verbe de la proposition principale « aurait » occasionne pour celui de la subordonnée  « nous dépêchions » l’usage de l’imparfait de l’indicatif conformément à la règle d’accord.

Au demeurant, Un Piège sans finest l’un des rares romans les plus achevés de la littérature béninoise. Le plaisir de le lire ou de le relire réside dans le registre de l’auteur à nous conter les faits dans un langage élaboré  –  je veux dire son « art de conter exquis »[2].

Si Un Piège sans fin est un roman toujours intéressant, c’est moins à cause des mésaventures  d’Ahouna que de la dextérité d’Olympe Bhêly-Quenum.

Dans un tout autre registre, Un Piège sans fin, aurait connu moins de succès, peut-être serait passé même inaperçu du grand public. Peu importe le temps,  Olympe Bhêly-Quenum sera de toutes les époques de la littérature africaine surtout pour la beauté de son style. N’est-ce pas d’ailleurs le style qui fait le grand écrivain? Et le style, Olympe Bhêly-Quenum en a.

Quand j’ai lu pour la première fois Un Piège sans fin, j’ai cherché dans d’autres écrits d’Olympe Bhêly-Quenum ce qui a fait ma joie dans ce roman. C’est avec le même plaisir que j’ai lu Le Chant du lac qui est comme une suite à Un Piège sans fin et L’Initié.

Puisqu’il  s’agit des noces de diamant d’Un Piège sans fin, puissent les générations futures trouver dans ce chef d’œuvre autant de plaisir qu’il nous en a procuré.

Que dire de mieux pour l’oraison d’un vivant, si ce n’est longue vie à l’auteur, c’est-à-dire une paix sans fin dans une vie sans fin! Et quand bien même l’heure aurait sonné pour lui de rejoindre les Victor Hugo, Aimé Césaire, Fiodor Dostoïevskiou, son compatriote Jean Pliya, dans le panthéon de nos souvenirs, vivrait à jamais Olympe Bhêly-Quenum pour avoir donné tant de joie aux lecteurs par sa riche et sublime littérature.

Par Adélé Rodrigue GOUNDA,  ©BENINLIVRES, avril 2020


Références

[1] Ibid. P.33

[2] Adrien Huannou, « Ken Bugul jusqu’au bout du tabou » in Voix et voies nouvelles de la littérature Béninoise, (Mahougnon Kakpo Sous la direction de), Cotonou, Les Editions des Diasporas, P.72


[1] Olympe Bhêly-Quenum, Un Piège sans fin, Paris, Présence Africaine, P.14

[2] Françoise Descoubes, Joëlle Paul (sous la direction de), Grammaire 3e (Collection Plus-que-parfait, Paris, Bordas, P.104

[3] Olympe Bhêly-Quenum, Un Piège sans fin, Paris, Présence Africaine, P.25

[4] Ibid. P.27

[5] Ibid. P.33

[6]Ibid. P.33

[7] Olympe Bhêly-Quenum, Un Piège sans fin, Paris, Présence Africaine, P.37

[8] Ibid., P.34

[9] Livres de bord : Grammaire, Paris, Larousse, pp.151-152