LA CHRONIQUE – Il est encore de ces hommes, femmes de culture, intellectuel(le)s, écrivains ou non qui nonobstant l’orage de la modernité continuent de lutter pour la sauvegarde et la pérennisation de ce qui est encore conservable en Afrique. Et parmi ces artistes et personnalités, on note Sophie Adonon, romancière béninoise. Consciente de ce que l’Afrique est déjà “sous le coup d’un dualisme culturel”, [1]elle se bat bec et ongles au menu quotidien pour toujours révéler la magnificence de la culture africaine de façon générale et celle béninoise en particulier. Consciente de l’effondrement de notre monde traditionnel qui désormais a cédé un siège confortable à un monde moderniste, lequel de plus en plus gagne du terrain, Sophie Adonon sort de ses gongs, lève la tête à l’instar de Dossou le lépreux dont le pays envahi par l’ennemi en pleine guerre, sort s’expose au moment où tout est désert, en s’exclamant: «On ne dira pas qu’il n’y a pas d’âme qui vive ici ». Ainsi pour dire qu’elle est l’une des gardiennes du temple de la civilisation africaine.
Quand Sophie Adonon devient l’Historienne d’un passé glorieux mais bafoué et mal exploité dans le présent
Revenons à présent au vingt-cinquième livre titré Le salut tumulaire de cette écrivaine béninoise. Ce roman fait une rétrospection dans le passé pour réhabiliter non seulement certains monarques du royaume du Danxomè mais également mettre sous projecteurs le riche tapis bigarré de la culture dahoméenne.
Les rois du Danxomè sont, je ne trahis aucun secret, dans l’imaginaire de plus d’un comme des cannibales, sauvages aux actes arbitraires et inhumains. Car ” Chacun révise l’histoire à son avantage “[2]. Ainsi l’histoire du Danxomè connaît beaucoup de distorsions voire versions collant d’humiliantes et désagréables étiquettes aux rois du Danxomè. C’est le cas du roi Adandozan, le neuvième roi d’Abomey qui n’a jamais été compté et retenu sur les listes officielles des Monarques qui se sont succédé à la tête du royaume. Tout porte à croire qu’il était barbare, inhumain. C’est pourquoi il a été détrôné et remplacé… La vraie raison était qu’il avait manifesté sa désapprobation contre la traite négrière. C’est ce qui est la pomme de discorde entre les personnages de Ananto et de Ahovi dans le roman de Sophie Adonon.
Le premier soutient que ce monarque n’est pas moins qu’un sauvage. Et pour lui, l’Aboméen n’a aucune chance de connaître le bonheur à cause des ‘’effets des puissants gris-gris maléfiques, bo-dida enfouis dans les nappes phréatiques d’Abomey’’[3]. Selon celui – ci, un fils d’Abomey ne peut jamais gagner à la loterie. Quant au second, il défend le contraire.
À tort et à travers, on colporte des poncifs sur le Danxomènou. Le roi Adandozan est d’ailleurs le souverain qui a prôné l’agriculture de subsistance avec son système de ” kpatin- glé”, la culture autour des palissades. Il avait institué, ne l’oublions pas, l’égalité entre tous ses sujets. Malheureusement, il fut destitué et banni du royaume avec l’appui de Francisco de SOUZA Chacha, parce qu’il constituait une entrave à la traite négrière, commerce très saccharifère pour le grand négrier de SOUZA.
C’est de la même manière que la reine Hangbé, sœur jumelle du roi Agadja qui a régné pendant près de quatre ans n’a jamais été considérée comme souverain ayant dirigé le Danxomè. C’est peut-être l’heure de la rétablir. Et c’est au regard de tout cela que Sophie Adonon a commis en 2016 l’ouvrage Monarque Hangbé, panégyrique d’une reine biffée.
Des non- dits dans l’histoire du Danxomè à la vérité
On note beaucoup de fausses notes, contre-vérités à travers les récits faits sur les souverains du Danxomè. Le manque d’impartialité et les trous de mémoire distillent souvent de venin dans les plats de l’histoire dahoméenne. Chacun dit ce qui arrange sa famille et cache ce qui la déshonore. Par exemple, il est fréquent d’entendre dire que le roi Béhanzin avant de partir en exil a fait enterrer sa mère vivante de peur de la laisser aux mains des ennemis du royaume. Ces propos ne sont que de pures intoxications car avant d’aller en Algérie, Béhanzin a confié sa mère Nan Zèvoutin à son frère consanguin Agbidinoukoun, le consacré dépositaire de l’histoire du Danxomè. Ce dernier a pris bien soin de la reine- mère et après sa mort, elle fut enterrée à Sahè, un des villages de la commune d’Agbangnizoun. Nous n’avons aucune intention de dédouaner les souverains du Danxomè, du moins proclamer leur sainteté ou innocence. Mais ce que nous remarquons, c’est qu’il y a beaucoup d’économies de vérités dans les histoires que colportent les détracteurs du royaume. Il vaudra mieux recueillir l’histoire à la source pour éviter des incongruités et certains anachronismes. On a souvent entendu dire qu’après le décès d’un roi, on l’accompagne d’un nombre impressionnant de femmes et d’hommes. Le cortège est décapité dans sa tombe et constitue l’ensemble de ses messagers dans l’au-delà. Alors que tout cela est faux. Ce sont ces femmes ou hommes eux-mêmes qui choisissent délibérément d’accompagner le monarque à Allada[4] afin d’hériter estiment-ils le paradis. Et c’est ce qu’on découvre dans Le roi – dieu au Bénin [5] :« Ces victimes, au dire du même auteur, se présentaient au sacrifice de leur propre gré, mais le nombre de volontaires était tel qu’il fallait en refuser, or ceux qui étaient exclus du sacrifice se montraient mécontents.
Il semble qu’il en était de même au Dahomey. Lors de la mort de Guézo, quarante et une de ses épouses furent enterrées avec le roi, affirme-t-on, et on affirme que plus de deux cents femmes avaient voulu suivre leur royal époux et qu’on eut beaucoup de mal pour les empêcher de s’empoisonner ou de s’ôter la vie par un autre moyen à leur portée, les femmes à qui on refusa l’honneur de mourir avec le roi furent déçues ». C’est la même attitude que le personnage éponyme Doguicimi [6] a affiché dans ce roman. Doguicimi a accepté pour l’amour qu’il a pour son époux Toffa (frère du roi Guézo) d’être enterrés vivante.
C’est clair qu’il y a beaucoup de stéréotypes, rumeurs qui font office de parole d’évangile dans l’histoire du Danxomè. Désormais il faut les prendre avec pincette.
Sophie Adonon encore dans les escaliers du passé!
Une autre histoire qui a polarisé notre attention dans Le salut tumulaire est celle relative au roi Akaba, le quatrième souverain du d’Abomey. Prenant de l’air un jour sous un faisannier (lisssè-tin) devant son palais, le souverain a reçu sur sa tête un faisan (lissè). Énervé, il maudit l’arbre en ces termes :
« À partir d’aujourd’hui en tant qu’arbre, tu seras stérile. Tu ne donneras plus jamais ton fruit Lissè à cause de ton outrecuidance »[7].
Et il en est ainsi jusqu’aujourd’hui. L’arbre existe toujours et est devant le palais Akaba- hondji à Abomey. Les prouesses des souverains du Danxomè sont inédites et inouïes. L’histoire de ce roi ressemble à celle de Jésus et du figuier. La Bible raconte que Jésus après plusieurs prédications rentrait un jour dans la ville quand il eut faim. Et voyant un figuier sur le chemin, il s’en approcha, mais il n’y trouva que des feuilles, et il dit: « Que jamais fruit ne naisse de toi! Et à l’instant le figuier sécha »[8].
Quand on va à la cuisine de l’histoire surtout celle dahoméenne, on en trouve toujours à boire et à manger. L’autre récit pas moins intéressant dans cet ouvrage est celui lié au gisement d’or à la forme féminine du roi Agadja à Sinwé-kpoto. Ce village est la localité la plus défavorisée de la commune d’Agbangnizoun bien qu’elle soit fondée sur de l’or. Ce village a été maudit par le roi Agadja parce que ses habitants ont trahi son secret en révélant aux ennemis du royaume l’emplacement de cette richesse incommensurable. Jusqu’à ce jour les détracteurs du royaume Blancs ou Noirs n’ont pu avoir accès au butin du roi.
Enfin, on est en droit de dire que Le salut tumulaire de Sophie Adonon est une défense et illustration du passé.
Notre vœu, c’est que notre gouvernement celui de la rupture, très engagé pour le développement de la culture et réalisant la rentabilité du tourisme pour une nation prenne connaissance de ce lieu historique et en faire un site touristique. Chinua ACHEBE aura raison de dire :
«Tant que les lions n’écriront pas leur propre histoire, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur».
Références bibliographiques
[1]-Armand colin, Littérature d’hier et aujourd’hui ;
[2]-Sophie ADONON, Le salut tumulaire, Editions Beninlivres, 2021,P89,
[3]-Sophie ADONON, Le salut tumulaire, Editions Beninlivres,2021 P82,
[4]- Expression désignant la mort du roi
[5]- Montsenat PALAU MARTI, Le roi- dieu au Bénin, éditions Berger – Levrault 5, rue Auguste – comte, Paris (VIe), 1964, P127
[6]- Paul HAZOUME, Doguicimi, G-P Maisonneuve et Larose. 1978
[7]- Sophie ADONON, Le salut tumulaire, Editions Beninlivres, 2021, P90
[8]- Matthieu 21 V 19