Par Ma mort plus belle que la tienne, Yves Dakoudi, nous amène à la découverte du personnage Boki, l’aîné d’une fratrie polygamique du village Dôloko; mais il nous amène singulièrement à la découverte des business autour d’un défunt.
Boki, avait arrêté l’école au parce que « défénestré par son instituteur qui avait en horreur son crétinisme incurable ». Un « taré devant lequel le bâton et la chicotte étaient impuissants » ; très tôt il s’est consacré à l’agriculture et les campagnes agricoles lui apportaient beaucoup d”argent. En dépit de sa richesse, son aspect cochonné, la tristesse de ses épouses, la déscolarisation de ses enfants et leurs états de gueux amenaient plus d’un à se demander ce qu’il faisait de cet argent.
Son avarice était inexpliquée, même face à la décennie de maladie de son père où ses frères ont épuisé toutes leurs économies, il était resté indifférent. Ses frères ont essayé maintes fois de fouiller le taudis où il vivait seul et isolé du monde pour essayer de retrouver l’argent que leur aîné cachait, puisqu’il le savait trop méfiant pour confier son argent à une structure financière. Mais tout ceci en vain.
Un jour en pleine nuit, Boki entendit des cris. Son père venait de mourir. Il entreprit de profiter de cette “opportunité” pour étaler sa fortune et démontrer à ses puînés qu’il était un véritable fortuné. L’impertinent Boki à la première réunion de famille où étaient présents frères, sœurs, oncles et tantes, s’exprime : « Si vous pleurez parce que vous n’avez pas les moyens que vous entrevoyez déjà pour faire face aux dépenses liées à ses obsèques, je peux comprendre…je prends en charge la totalité des frais liés aux cérémonies. Vous n’aurez rien à cotiser. J’en ai la capacité et vous le savez ».
D’abord, il dépose le corps à la morgue, contre les dernières volontés du défunt, les avis de tous les membres de la famille, les avertissements du Prêtre de Fâ…Ensuite, il électrifie la maison familiale, une première dans le village. Boki fait retoucher une vieille photo de son père à la capitale qu’il fit passer à la télévision nationale dans la rubrique « Annonce nécrologique ». il installa dans la cour familiale la première télévision de Dôloko pour que tout le village déjà prévenu par le crieur public, puisse voir passer l’annonce. Le communiqué passera aussi à la Radio nationale dans une vingtaine de langues nationales afin que tout le pays soit au courant de l’événement en vue à Dôloko, digne de la mémoire de l’ancien combattant Missôwou, le père de Boki. Le calendrier scolaire du village est modifié pour que la présence des élèves ne perturbe pas les préparatifs de l’enterrement ; dans la grande cour de l’école est érigée une bâche climatisée pour les invités de marque du richard.
Un mausolée imposant, un cercueil royal, un corbillard dernier cri, tout était fait pour que “cette mort soit belle”. Un tissu de qualité supérieur est prévu pour le retrait du corps à la morgue, un autre pour la chapelle ardente, un autre encore pour la messe absoute, un pour le cimetière et un dernier pour la réception des invités. Tout ceci est acheté par Boki, au grand marché Pili-Pili de la capitale, en quantité suffisante pour les veuves, les enfants et les petits enfants pour éviter qu’ils débarquent à l’enterrement inédit, habillés de façon bigarrée. Il avait lui-même convoqué les couturiers du village et de la zone qui se chargeront de confectionner à tout ce beau monde des tenues dont il payera lui-même les frais. Cerise sur le gâteau, Boki exige que l’enterrement soit fait un jour de marché afin que tous les gens venus des contrées environnantes pour acheter ou vendre soient témoins de son ‘’exploit’’, et ce, contre la tradition qui proscrit toute inhumation le jour du marché. Personne ne réussit à faire changer d’avis à l’intrépide et insolent Boki qui voulait à tout prix étaler son royaume de biens matériels.
Tout est fin prêt, après neuf mois de préparatifs, toute la famille et les curieux sont présents, le jour de l’enterrement ; Boki et ses frères endimanchés iront à la Cité Soleil, la capitale récupérer le corps du défunt pour l’inhumation. Mais une surprise les y attendait…Elle est cachée dans ce beau roman que nous vous invitons à lire.
Boki est l’archétype de ces nombreuses personnes qui n’affichent aucune volonté de prendre soin de leurs parents quand ils sont vivants, mais qui sont prêts à débourser une fortune pour leur offrir une inhumation hors pair, juste pour attirer les regards en étalant leurs ressources financières.
Yves Dakoudi avec ce roman s’insurge contre la mafia mortuaire et les différents business érigés autour de la mort. Il critique, par des mots durs, mais aussi par l’humour une organisation déloyale qui gagne de plus en plus de place dans la société.
En filigrane de la mésaventure de Boki, le personnage principal de l’ouvrage, le lecteur découvre le Président de la République Joe Ballar, un président « tiré à douze épingles, qui prône le serrage de ceinture » qui emploie « le mot réforme sans cesse ». Le lecteur découvre également son prédécesseur N’dégo Tégo « en résidence surveillée de fait pour salutations exagérées depuis son balcon, excès de jogging, jeux de jambes et bagarres avec les flics au marché Pili –Pili ». Sans oublier le préfet Kassuis klay de la Cité-Soleil, « que la ville appelle “le Président des préfets ” », dans ses opérations de déguerpissement.
Paru aux éditions Plumes Soleil, Ma mort plus que la tienne est le deuxième Roman de Yves Dakoudi, après La perle cadenassée, finaliste du grand prix littéraire du Bénin en 2019.
Kafui Persis GUIVI, © BENINLIVRES, octobre 2022