LA CHRONIQUE. Tu m’aimes trop tard. La jeune Romancière béninoise, couturière de profession, Akouélé Perpétue Dossouvi, auteure de ce livre s’est servie juste du sujet d’amour pour plonger son lecteur dans une préoccupation qui occupe considérablement les réflexions : l’entrepreneuriat féminin.
Le roman Tu m’aimes trop tard, bien qu’étant une œuvre de fiction est un livre de coaching, qui réveille les jeunes africains, singulièrement les filles, de la course effrénée derrière les longues études et les diplômes universitaires qui ne sont parfois bons que pour le chômage.
Aude, l’héroïne du récit est un parfait exemple de la détermination et de la marche des femmes vers leur autonomie. Elle représente surtout un modèle pour tout jeune africain qui aspire à une vie bien tracée, à un bel avenir. Intelligente et clairvoyante, Aude refuse de perdre le temps sur les bancs de l’université, à courir après des parchemins ou titres ronflants qui, in fine, n’offriraient aucun véritable sens à sa vie. Elle a décidé d’aller apprendre la couture. La détermination de Aude est illustrée par ce témoignage de la narratrice principale du récit.
« Aude avait vingt-cinq ans. Elle a dû abandonner les cours en 4ème année de Géographie et en 3ème année de Sociologie. Elle a abandonné l’université parce qu’elle n’avait plus envie d’y retourner. La clôture blanche de cette maison lui donnait de douleurs céphaliques tous les jours qu’elle la voyait. Et puis, à en entendre ses camarades de sociologie convertis en professeurs de français jubiler pour avoir eu quelques heures de vacation dans plusieurs collèges, elle se demandait si à c’est à cela qu’allaient se résumer toutes les humiliations que les professeurs leur faisaient subir. Les camarades géographes se battaient pour participer aux sondages organisés une fois tous les cinq ans. C’est à cause de tout cela qu’elle décida de donner congé à ses fesses. Elle abandonna la brique sur laquelle elle s’asseyait en amphi. » p.16.
Plus loin, sur les pages 163 – 164, on peut lire cet extrait qui scanne à suffisance les systèmes éducatifs en Afrique :
« Quand j’avais commencé ma formation, je n’en avais pas parlé à mes parents. Je connaissais leur avis à ce propos. Ce sont des parents qui ont toujours été bernés par le système dont nous parlons et qui veulent que leurs enfants deviennent des fonctionnaires d’Etat. Ils sont fiers de leur enfant quand il décroche un poste dans la fonction publique. J’en avais plutôt parlé à quelques têtes parmi mes amis qui malheureusement étaient adeptes du système éducatif en place, du système d’akôhouécratie. Mes amis me disaient que les métiers manuels sont prédestinés aux citoyens de basse classe, que si jamais je faisais cela, ce serait du rabais. Ils n’y taillaient aucune importance. Pour eux, c’était comme si je rêvais, car jamais, ils n’ont imaginé que je pouvais penser à une telle chose. J’étais déçue de leur comportement. Du coup, je m’étais vue éjectée de notre cercle d’amitié…
Les fois où je venais suivre les cours à l’université, ils me considéraient comme un nouveau. Ils étaient toujours occupés, soit à lire de volumineuse polycopies qui ne servaient à rien, soit à discuter de leur groupe d’exposé. Je n’avais plus de nouvelles sur les cours dans les amphis. J’étais embrouillée. Devrais – je admettre que j’ai fait un mauvais choix ou l’assumer ? Eux ne font pas mon avenir. Mon avenir, je le fais moi – même.Ma passion pour la couture avait commencé à dominer cette voix qui chuchotait en moi. J’ai alors laissé mes amis dans leur monde théorique et me suis mise à construire le mien de manière pratique. ».
De la lecture de ces deux extraits, nous apercevons, d’une part l’intention de la jeune romancière de porter d’élégantes critiques contre les formations reçues à l’école, les programmes scolaire et universitaire. Akouélé Perpéture Dossouvi s’insurge contre un système éducatif en déphasage avec les réalités et les besoins actuels du monde. Elle s’indigne contre une école qui ne forme ni à la vie ni pour la vie, une école qui met en berne non seulement le développement personnel de l’enfant mais aussi celui de la nation toute entière.
Cette colère contre le système éducatif peut être justifiée par l’usage répétitif du verbe abandonner dans le premier extrait et la présence du champ lexical de la désolation ou de la peine (douleurs, humiliations, subir, s’assoir sur sa brique en amphi, etc.). Tout comme son compatriote Roger Koudoadinou, auteur de l’essai Curseur curatif à un système éducatif dévasté, Akouélé Perpétue Dossouvi réagit « en face d’un tableau si noir de l’école béninoise ».
D’autre part, nous remarquons que la couturière – romancière indique l’artisanat et l’entrepreneuriat comme la voie pour construire une vie de « manière pratique ». C’est une thérapie, analysons – nous, qu’elle suggère, par l’audace de son personnage Aude.
En effet, ce personnage n’a pas tourné dos aux études universitaires pour insuffisance de travail ; elle n’a pas mis fin à son séjour à l’université pour rendement médiocre. Aude fut une étudiante laborieuse et excellente. Elle a quitté l’université parce qu’elle a décidé de donner de sens à son avenir. La décision n’a aucune source externe à Aude, c’est sa volonté, c’est son « moi ». L’utilisation abondante du pronom personnel « je » dans le second extrait en est une preuve, et la présence des déterminants comme « mon, ma », des pronoms comme « moi, me, etc. » en est une autre. De même, en utilisant l’emphase au niveau de la phrase « mon avenir, je le fais moi – même », l’auteure par la voix de son personnage montre l’intérêt que chaque enfant devrait imprimer à son « avenir ». Ce procédé stylistique qui a pour fonction principale de créer un effet d’insistance est utilisé ici pour attirer l’attention du jeune béninois ou du jeune africain sur le rôle qui est le sien dans la construction de sa propre vie, disons, de son avenir.
En clair, Akouélé Perpétue Dossouvi, à travers Tu m’aimes trop tard se positionne comme un mentor qui encourage les plus jeunes à l’entrepreneuriat. A travers le parcours de Aude, l’héroïne de son livre, elle s’adresse particulièrement à la jeune classe féminine, l’invitant à atteindre l’excellence. Par l’artisanat, par l’entrepreneuriat.
Par Esckil AGBO© BENINLIVRES, juin 2022